La popularité des téléréalités de rénovation est loin de s'essouffler et cet automne, les nouveaux concepts rivalisent d'audace. Ces nouvelles émissions suivent la tendance des téléréalités de séduction et de cuisine en repoussant constamment les limites. Pour le meilleur et pour le pire.

DÉCO EXTRÊME

La pièce de montage de l'avenue du Mont-Royal n'a rien d'une salle de séjour dernier cri, mais c'est dans ce local froid que prend forme la dernière tendance en téléréalité au Québec. En 12 épisodes, le comédien Patrick Brosseau et sa conjointe designer Lorna Gordon invitent les téléspectateurs à les accompagner pas à pas dans la sérieComment rénover et faire 100 000 $ en 6 mois. On promet bons coups, trucs et conseils de flip immobilier.

Depuis peu, on repousse les limites des téléréalités au Québec, en suivant l'exemple américain. Les maisons de production relaient aux oubliettes les émissions de déco style magazine. À preuve, l'émission Décore ta vie, un concept consistant à offrir au participant un nouveau décor dans une pièce, présentera sa dernière saison cet automne, après 16 ans à l'antenne de Canal Vie.

Réalisatrice terrain à Décore ta vie, Nicole Dussault, qui veille au montage d'épisodes deComment rénover et faire 100 000 $ en 6 mois, estime que le public est « prêt à autre chose, à quelque chose de plus gros ».

Le changement s'amorce, certes, mais les chaînes québécoises sont loin d'avoir autant de front que la BBC One, chez les Britanniques, qui, selon le journal The Guardian, présente la téléréalité la plus « cruelle » de son histoire avec Your Home in Their Hands. Dans un épisode devenu viral sur YouTube, on voit un couple fondre en larmes après avoir vu son entrée principale recouverte de fleurs en plastique, ses escaliers de tapis gazon et la chambre peinte rose poupée. L'animatrice, Celia Sawyer, est montée au rang de superstar.

« Ça ne passe pas au Québec de rire des gens. On fait d'ailleurs très attention dans nos choix de séquences pour que les gens aient l'air intelligents, pour ne pas les montrer en pyjama. Mais les téléspectateurs veulent du percutant, de l'émotion, avec de l'authenticité », dit Nicole Dussault, productrice.

Michel Godin n'a pas versé de larmes à la fin de sa participation à l'émission Des idées de grandeur dans ma cour, mais il a quand même dû sortir ses pinceaux et son marteau pour solidifier sa cour montée à la va-vite par l'équipe de l'émission. Sa conjointe et lui ont finalement investi 6500 $ de leurs poches dans l'aventure diffusée à Canal Vie.

« Évidemment, c'était ma cour, pas mon salon, ça n'a pas la même portée, dit-il. L'émission nous a permis d'amorcer notre projet, avec une terrasse, une clôture et un cabanon. Notre bilan est somme toute positif, avec beaucoup de "oui", et quelques "mais". Je crois que les participants doivent être réalistes, c'est un show, ce sont des coups d'oeil télé. Et les travaux se font vite. »

CE BESOIN D'ÊTRE VU

Professeur à l'École des médias de l'UQAM et spécialiste en téléréalités, Pierre Barrette croit qu'à l'instar des Américains et des Britanniques, les Québécois sont attirés par le « voyeurisme social ». La décoration devient un prétexte, dit-il.

« C'est déjà vrai pour les téléréalités de séduction, où les téléspectateurs sont à la recherche d'une mise en spectacle. Dans les émissions de décoration, c'est par la bande. Dans le cas de la BBC One, on a délaissé complètement la décoration pour aller à fond dans le scandale, la provocation, le tout en exploitant l'idée que des gens voient leur maison complètement foutue en l'air. »

Sans verser dans l'extrême, Céline Gosselin, productrice pour Zone 3 d'un bon nombre d'émissions de déco et de rénovation au Québec, explique qu'on est à l'étape de montrer la réalité, avec ses obstacles et ses coûts réels. Et c'est ce qu'on présentera cet automne, dans la nouvelle production C'est quoi ton plan ?, où les participants soumettront une pièce problématique de leur maison à des designers experts.

Quant aux participants, elle affirme qu'en 735 épisodes de Décore ta vie, elle n'a jamais été témoin de grands drames, de grandes déceptions. Avec un cadeau de la production d'environ 1500 $ en décoration par participant, sans démolition de murs et une journée spa et détente en prime, les risques que ça tourne mal étaient d'ailleurs somme toute assez restreints.

« Dans le cas de l'émission Des idées de grandeur dans ma cour, je me souviens de deux faux pas. Dans les deux cas, nous nous sommes empressés de retourner sur les lieux pour rectifier les travaux. Le bassin d'auditeurs n'est pas le même au Québec qu'à la BBC, la dernière chose que l'on veut, ce sont des commentaires négatifs sur les réseaux sociaux », précise Mme Gosselin.

QUINZE MINUTES DE GLOIRE

En quelques minutes à peine, le professeur Pierre Barrette, de l'UQAM, a dénombré pas moins de 250 émissions américaines liées à la déco ou à la réno-brico sur le moteur de recherche de Wikipédia. « La télévision est une façon d'exister à travers la caméra, d'avoir son 15 minutes de gloire à la Andy Warhol, dit-il. Je passe à la télé, donc j'existe. J'aurais tendance à dire que c'est devenu plus important que l'argent et la classe sociale. Évidemment, c'est une illusion. La téléréalité y donne accès et les émissions de déco sont parmi les plus accessibles. La télévision devient un réseau social, mais multiplié par 10, surtout quand on filme chez soi. »

LES NOUVEAUTÉS DE CANAL VIE

Productions originales

• Tous pour un chalet

• Comment rénover pour faire 100 000 $ en 6 mois

• C'est quoi ton plan ? 

• Manon, sauve mon sous-sol !

• Party V.I.P.

• Qui vit ici ?

• Vendre ou rénover au Québec

Productions étrangères

• Mini-maisons du monde

• Ma maison flottante

• Propriétaire et prospère au chalet

• Texas Flip'n'Move (titre français non déterminé)

• Vendre ou rénover

• Retour en ondes

• Bye bye maison

• Déco top chrono

• On efface et on recommence

• Décore ta vie

MANON ET LES FAUX PAS

Il y a une marge entre ce qu'on voit à la télé et la réalité, affirme Benoit Delorme, qui a participé à l'émission Manon, tu m'inspires. Il raconte que sa colocataire de l'époque et lui étaient satisfaits « sur le coup », mais qu'ils ont vite déchanté. Prix de consolation : ils n'ont rien eu à payer.

« Une partie du mur n'était pas peinte, car on ne la voyait pas à la télé. La peinture n'avait pas un fini pour cuisine, mais un fini mat qui ne fait pas de reflet à la caméra. Ce n'était pas du tout adapté à une cuisine, les éclaboussures laissaient des traces impossibles à effacer. »

Quant au comptoir, il était très beau à l'écran, mais « pas pratique » dans la vie de tous les jours, raconte-t-il. « Il était composé de petites tuiles posées de façon inégale, un comptoir difficile à nettoyer ou à essuyer. »

Le participant poursuit en racontant que la peinture des chaises s'est écaillée rapidement et le patchwork du luminaire s'est décollé. « Ils ont aussi refait l'électricité pour déplacer la cuisinière à l'endroit où elle aurait dû être. C'était une très bonne idée. Nous avons beaucoup aimé. Le seul problème : ils ont mis des tuyaux flexibles le long du mur pour le renvoi de la laveuse et nous devions les lever pour ouvrir le tiroir du four. À la longue, le mur a été abîmé. »

Depuis, Benoit Delorme a déménagé. En rétrospective, il estime qu'à part le changement de couleur, ça ne valait pas la peine. Surtout compte tenu de tout le temps consacré à son dossier de candidature.

LA VERSION DE MANON

Manon Leblanc admet ne pas se souvenir de ce cas précis et souligne que l'émission Manon, tu m'inspires remonte à plusieurs années. « Les budgets n'étaient pas les mêmes, explique-t-elle. À l'époque, si on avait 1500 $ pour une cuisine, c'était déjà beaucoup. On parlait davantage de bricolage, de "relooking". »

Grâce à sa notoriété, les commanditaires se bousculent pratiquement aux portes de ses émissions aujourd'hui, dit-elle, et elle offre désormais des cuisines valant jusqu'à 50 000 $ 

« C'est vrai qu'il m'est arrivé de donner à des participants un gallon de peinture pour exécuter les travaux en raison des contraintes de temps de la production, admet Manon. Mais je veux que l'on retienne que mon objectif premier est de transformer des pièces pour des gens qui en ont vraiment besoin. Je garde en tête, entre autres, une dame qui m'a dit que j'avais changé sa vie grâce à des comptoirs adaptés à sa petite taille. »

RUSE DE PARTICIPANTS

La designer et animatrice a aussi des anecdotes peu reluisantes à raconter. Comme cette fois où la production a découvert que la maison des participants était à vendre. « Les propriétaires avaient pris le soin d'enlever la pancarte avant notre passage, raconte-t-elle. Depuis, on fait des recherches sur les sites immobiliers avant d'accepter un participant. On a aussi ajouté une clause à nos contrats stipulant que les participants doivent attendre trois ans avant de soumettre leur candidature à une autre téléréalité de rénovation. On se connaît dans le métier. »

DES ASPECTS MÉCONNUS

Devant la caméra, tout est beau. Mais les conditions de tournage des émissions de décoration et de rénovations restent mal connues. Voici quelques aspects qu'il vaut mieux connaître, surtout si une candidature vous intéresse.

UNE ÉMISSION AMÉRICAINE POURSUIVIE

L'émission américaine Vendre ou rénover (Love it or List it) fait aussi parler d'elle en raison des recours judiciaires intentés par deux participants. Dans leur poursuite déposée en Caroline du Nord, Deena Murphy et Timothy Sullivan allèguent qu'ils ont dû débourser 85 000 $ pour réparer les dégâts causés par les travaux, notamment pour enrayer de « la vermine qui se faufile jour et nuit » par des conduits d'air mal installés, a rapporté leMiami Herald. « L'argent des participants a essentiellement servi à créer un décor de télévision », ont-ils déploré. Ils dénoncent également des fenêtres scellées avec de la peinture et des trous dans le plancher. Le couple réclame 750 000 $ en dommages et intérêts.

« PAS LE CHOIX DE RÉNOVER »

L'émission américaine Pas le choix de rénover (Fixer Upper), qui bat tous les records de popularité, a aussi son envers de décor. Pour espérer se qualifier, les participants doivent avoir un coussin financier de 30 000 $ pour les imprévus, en plus de l'investissement pour l'achat de la maison et sa rénovation. Les meubles et accessoires de décoration qui se trouvent dans la maison lors du dévoilement ne sont pas une gracieuseté du diffuseur ou des producteurs. Les participants peuvent en effet les acheter auprès du marché Magnolia, une entreprise appartenant aux animateurs vedettes Chip et Joanna Gaines.

DESIGNERS SENSIBLES

La réalisatrice Nicole Dussault précise que les designers sont très attentionnés. Il est clair qu'ils ne mettront pas du rose dans une pièce si le participant déteste cette couleur. « Je me souviens de la candidature d'une dame d'un certain âge soumise par l'un de ses enfants pour sa cuisine, se rappelle-t-elle. Quand nous sommes allés la visiter, on a vite compris qu'elle ne voulait rien changer, son décor lui rappelait de doux souvenirs. On n'a pas insisté. »

CONSENTEMENT ÉCLAIRÉ

Les Québécois sont nombreux à soumettre leur candidature aux différentes téléréalités et le processus de sélection est rigoureux, soutient-on dans le milieu. Les participants doivent fréquemment se soumettre à des auditions, en plus de signer différents formulaires de consentement et de confidentialité. « Les participants sont traités comme des clients, explique la productrice Céline Gosselin, chez Zone 3. Quant à la production, on se laisse toujours une marge de manoeuvre de 5 % pour la finition, par exemple pour des égratignures sur le mur. »