Il y a des souvenirs d'enfance qui marquent davantage les esprits que d'autres: un voyage à la mer, un premier baiser, une grand-mère gâteau qui passait son temps à nous cajoler. Des moments de bonheur qui, malgré leur apparence anodine, s'imprègnent avec une telle intensité qu'ils forgeront plus tard, plus que le caractère, une carrière.

C'est le cas de Geneviève Lorange qui, depuis aussi loin qu'elle se souvienne, a toujours vu sa grand-mère Estelle fabriquer des courtepointes: deux par année - c'est un travail de moine -, qu'elle distribuait précieusement à chacun des membres de la famille et qu'on se transmettait ensuite presque religieusement. Sachant très bien qu'elles dureraient toujours, que leur longévité dépasserait probablement celle de leur propriétaire.

Gamine, Geneviève aidait souvent sa grand-mère quand elle allait la retrouver au chalet familial des Laurentides, l'été. « Elle m'a appris à coudre si jeune que j'ai probablement su coudre avant même de savoir faire du vélo! », remarque la jeune femme aujourd'hui. Elle n'avait pas 10 ans qu'elle fabriquait elle-même les vêtements de ses poupées. Puis, ce furent les costumes d'Halloween, les coussins et les rideaux de son premier appartement. Très vite, il est devenu évident que c'est elle qui perpétuerait la tradition des travaux d'aiguille dans la famille Lorange et c'est ainsi qu'elle a lancé, il y a six mois, sa petite entreprise d'articles de literie, Bigarade.

« J'ai étudié en design de mode, mais je n'aimais pas le côté effréné de la mode [vestimentaire] qui pousse à la surconsommation, explique Geneviève Lorange. J'aime les choses qui durent parce que j'aime éviter le gaspillage. » Pour apprendre à mieux utiliser les matériaux recyclés, elle a poursuivi ses études en design industriel, avant de revenir à ses premières amours récemment.

Bigarade propose principalement des housses de couette, des draps et des coussins confectionnés à partir de tissus vintage trouvés soit par la mère de Geneviève, qui tient un kiosque d'objets et tissus vintage au marché aux puces Saint-Michel, soit dans des anciennes usines textiles de Montréal, soit lors de voyages à l'étranger. Tout est conçu et assemblé dans son atelier de Verdun. « Si je ne suis pas la seule, je suis vraiment l'une des seules à le faire à Montréal », dit-elle fièrement. Un souci d'encourager l'économie locale et de limiter la pollution liée au transport de marchandises. « La notion de développement durable, c'est crucial pour moi. »

Tout est pensé, donc, pour éviter le gaspillage. Les modèles sont conçus afin de limiter les pertes de tissu; les chutes sont utilisées pour faire des étiquettes, des étuis à crayons et des catogans pour les cheveux qu'on distribue ici et là en cadeau dans les commandes, ou encore des sacs dans lesquels on emballe les draps et dont la taille a été étudiée pour qu'ils puissent servir de sacs à chaussures ensuite. On privilégie aussi, pour les tissus neufs, les fibres qui ne sont pas teintes, plus durables et ne requérant pas l'emploi de produits chimiques.

C'est dans cet esprit aussi que le recto et le verso de ses pièces ne sont jamais identiques: pour que les clients puissent changer de décor au gré de leurs envies sans devoir consommer de nouveau. « Faire son lit, c'est un peu décorer sa chambre chaque matin, c'est bien de pouvoir personnaliser, changer son environnement quand on en a envie », dit-elle. Preuve à l'appui: un lit dressé d'une housse à fleurs et de coussins colorés change du tout au tout le look d'une chambre à coucher lorsque qu'elle retourne la housse et qu'elle devient mauve, unie, et que les coussins se révèlent à l'endos en lin brut.

Ses articles - tous garantis à vie - ne sont pas encore vendus en boutique, mais essentiellement en ligne. « Garantir mes produits, c'est aussi m'impliquer pour le développement durable: je ne veux pas vendre de produits qui ont une durée de vie limitée et devront être jetés après quelques années seulement. » Il faut compter environ 200 $ pour une housse de couette pour un lit grand format; les commandes spéciales sont étudiées au cas par cas.

Bigarade est le nom d'une variété d'oranges très utilisée en parfumerie. Geneviève Lorange l'a adopté en hommage à sa grand-mère Lorange, une passionnée de la fabrication de courtepointes, qui l'a inspirée à lancer sa petite entreprise de literie fabriquée à Montréal.

__________________________

Info: bigarade.io