Notez la symétrie de son architecture et de son organisation intérieure. Voilà l'une des rares constructions d'inspiration Art déco à Québec.

Notez la symétrie de son architecture et de son organisation intérieure. Voilà l'une des rares constructions d'inspiration Art déco à Québec.

L'édifice Price, qui domine le Vieux-Québec, répond lui aussi aux normes de ce style décoratif né à Paris dans les années 1920. Mais mises à part quelques maisons de la rue Laurier et du chemin Saint-Louis, aux formes arrondies et aux balcons pleins, Québec n'a pas beaucoup subi l'influence de l'Art déco, affirme l'architecte Jacques Plante.

Pourtant, une foule d'objets et de meubles se réclament de l'Art déco. Sans le savoir, vous en possédez peut-être. Vos parents en avaient sans doute. Sinon, regardez chez vos grands-parents.

Les fameux téléphones de bakélite noire : Art déco ! Les têtes de lit avec motif incrusté de soleil rayonnant : Art déco ! Les commodes à façade ventrue, les femmes sans expression impeccablement maquillées de la peintre Tamara de Lempicka, les bibelots inspirés de l'iconographie égyptienne et de l'art tribal, les coiffeuses de marqueterie aux incrustations d'ivoire de nacre, les assiettes octogonales, les tissus à motifs de zigzag : l'Art déco se décline dans toutes ces formes, entre le kitsch et l'extrême raffinement.

Porte d'ascenseur de l'édifice Chrysler

L'Art déco tire son nom de l'Exposition internationale des arts décoratifs, qui s'est tenue à Paris, en 1925. Au lendemain de la Première Guerre mondiale de 1914-18, la ville vivait une période intense de défoulement collectif, les années folles.

L'Art déco se développe en rupture avec les fioritures héritées de la fin du XIXe siècle. La droite et l'angle droit remplacent la courbe. Les formes tendent à une facture épurée et à un caractère géométrique, anguleux. L'Art déco se propage rapidement en Angleterre et aux États-Unis.

Un style éphémère

Mais son essor est éphémère. Le style finit par se déprécier avec la production d'objets kitsch, très loin de l'excellence des créateurs français des années 1920. Il sombre dès 1939, avec Hitler et le nazisme, avant de susciter un regain d'intérêt, dans les années 1960, à la fois chez les collectionneurs et de jeunes designers.

«Les États-Unis ont beurré épais, commente l'architecte québécois Jacques Plante. Ils ont mis de beaucoup de "pâtisserie" dans ce style.» N'empêche. Ils ont construit, à New York, il y a 76 ans, un gratte-ciel de 77 étages qui représente "l'ultime expression de l'architecture Art déco", le Chrysler Building. En concevant un toit qui évoque des pare-chocs de voitures, l'architecte William van Allen a succombé à une coutume de l'époque : celle d'utiliser la forme des objets quotidiennement utilisés par le propriétaire, pour en expliquer la fonction.

L'Empire State Building et le Rockefeller Center, à New York, sont eux aussi des icônes de l'Art déco américain.

En Angleterre, l'aménagement de nombreux cinémas, notamment ceux de la société Odeon, qui ont recréé l'ambiance des salons de Hollywood, s'inscrit dans un certain Art déco, rutilant et chromé.

Jacques-Emile Ruhlmann est le concepteur de meubles et le designer d'intérieur le plus étroitement associé à ce style. Il travaillait pour des riches assoiffés de nouveautés. Afin de satisfaire leur idéal de perfection artisanale, il n'employait que des matières luxueuses cuir, nacre, ivoire, albâtre, ainsi que des essences de bois rare, comme la loupe d'orme, la ronce de noyer, la palissandre, le sycomore.

L'art de l'assemblage

«L'Art déco réfère à l'art de l'assemblage», mentionne Jacques Plante. Ainsi, les bois précieux sont enserrés dans le laiton, le cuivre et l'inox, ou incrustés de plaquettes en ivoire de nacre ou de métal. Dans les lieux publics, les ascenseurs ainsi parés portent la signature Art déco.

Les intérieurs sont souvent saturés de tissus, dont les rythmes saccadés et vifs rappellent ceux de la musique légère des années folles. Si la répétition des motifs contribue à l'unité du style, elle peut aussi rendre les pièces étouffantes. Par ici, le chevron, l'éventail, le zigzag, la demi-lune et le soleil rayonnant ! En bouquet, en corbeille, en guirlande, la rose est elle aussi très tendance dans les intérieurs de l'époque.

Les meubles sont souvent supportés par des socles ou par des pieds de forme ovoïde. Ils n'ont pas de moulure, mais beaucoup de dorures et de laque en surface. Les commodes sont galbées, voire ventrues.

La coiffeuse, dont la façade est répartie en plusieurs éléments distincts, est identifiée à l'Art déco. Il paraît que ce sont les femmes, dans les années 1920, qui ont imposé leur version de ce meuble. Des femmes qu'on se plaît à imaginer telles que les représentent les tableaux de Tamara de Lempicka.