Deux ans après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, les sanctions record adoptées par les pays occidentaux contre le régime de Vladimir Poutine n’ont pas fait taire les armes russes. Le président américain Joe Biden doit annoncer de nouvelles sanctions ce vendredi en lien avec la mort d’Alexeï Navalny.

Elles avaient été pensées pour faire plier le Kremlin. Elles n’ont jusqu’ici pas été suffisantes pour arrêter l’invasion et changer le cours de l’histoire qui s’écrit.

Deux ans après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, Vladimir Poutine ne donne aucun signe de vouloir déposer les armes. Pourtant, les experts s’entendent pour dire que les rondes de sanctions adoptées contre le régime et les milliardaires proches du Kremlin n’ont pas été des mesures timides.

Qu’est-ce qui s’est passé ?

« L’Inde et la Chine continuent d’acheter du pétrole russe, résume Maria Popova, professeure de science politique de l’Université McGill. Cela dit, ils le paient moins cher, puisque presque personne d’autre qu’eux n’en veut. »

Les récentes prévisions du Fonds monétaire international (FMI) annoncent une croissance de 2,6 % pour l’économie russe en 2024 – bien supérieure aux prévisions pour l’Allemagne (0,2 %), le Royaume-Uni (0,6 %) et la France (0,9 %).

Ilya Yablokov, spécialiste des médias russes et professeur à l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni, note qu’une grande partie de la population russe vit « ses plus belles années » depuis deux ans malgré les sanctions.

« Les gens gagnent plus d’argent qu’avant, il y a beaucoup d’investissements à cause de la guerre, l’emploi se porte bien », dit-il.

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Ilya Yablokov, spécialiste des médias russes et professeur à l’Université de Sheffield, au Royaume-Uni

Ce n’est pas noir et blanc, des gens souffrent en Russie. Mais pour bien des citoyens pauvres dans des régions défavorisées, la situation s’est améliorée depuis deux ans.

Ilya Yablokov, de l’Université de Sheffield

Ekaterina Piskunova, chargée de cours au département de science politique de l’Université de Montréal, note que la Russie a eu le temps d’améliorer son autosuffisance économique depuis l’invasion de la Crimée, en 2014, suivie des premières sanctions occidentales.

« La Russie est aujourd’hui plus sanctionnée que n’importe quel autre régime dans l’histoire, même plus que la Corée du Nord, dit-elle. Mais elle s’est adaptée. »

Maria Popova, de l’Université McGill, estime qu’une des façons d’expliquer la force de l’économie en Russie est notamment que les importations bannies sur le papier continuent d’affluer sur le territoire russe.

« On sait que des importations qui entrent par camion en Russie pour soi-disant aller au Kirghizistan et au Kazakhstan restent en Russie, en contravention avec les sanctions internationales, dit-elle. Mais c’est difficile à contrôler. Même si elles ne sont pas parfaites, les sanctions sont nécessaires. »

300 milliards gelés

La mort d’Alexeï Navalny la semaine dernière aux mains du gouvernement russe a donné une nouvelle impulsion à une idée qui circule depuis l’invasion de 2022 : saisir les 300 milliards de dollars de la banque centrale russe détenus en Occident et les remettre à l’Ukraine.

Cette somme est gelée par les sanctions dans des institutions financières en Belgique, en France et aux États-Unis, notamment.

Pour Maria Popova, la saisie des 300 milliards serait le geste le plus efficace que l’Occident pourrait poser.

« C’est de l’argent que l’Ukraine pourrait utiliser pour se procurer des armes et des munitions pour se défendre, dit-elle. Ça pourrait directement financer l’effort de guerre. »

Quant à la question d’établir un précédent, Mme Popova se range dans le camp des analystes qui estiment souhaitable d’établir ce genre de précédent – d’autant que la barre à franchir est haute.

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Maria Popova, professeure de science politique de l’Université McGill

Si un pays envahit un pays voisin, tue des dizaines de milliers de personnes depuis deux ans, est accusé de génocide par la Cour pénale internationale [CPI] et ne donne aucun signe de vouloir arrêter, alors établir un précédent peut être une bonne chose. Le nombre de pays qui répondent à de tels critères n’est pas très élevé.

Maria Popova, professeure de science politique de l’Université McGill

Selon elle, ce serait plus grave si l’Occident utilisait les droits de propriété pour protéger un régime qui ne respecte pas les droits de propriété sur son propre territoire et qui envahit militairement un pays voisin. « C’est cela qui crée un mauvais précédent », dit-elle.

Avantage Russie ?

Ekaterina Piskunova croit qu’à court terme, la Russie s’en tire correctement. Mais à moyen ou à long terme, son succès est moins certain.

« Les ventes d’hydrocarbures rapportent moins qu’avant. Et ce secteur représente le tiers de l’économie russe, donc les finances du gouvernement seront moins belles d’ici quelques années. La Russie dépense beaucoup pour la guerre. Peut-être que ce n’est pas soutenable à long terme », dit-elle.

L’autre point faible de l’économie russe est son manque d’industrie de haute technologie. « Pour l’instant, la Chine est un partenaire. Mais à moyen terme, c’est incertain. »

Un point de vue que partage Ilya Yablokov. « À court terme, je suis pessimiste, car Poutine et ses associés ont compris qu’ils ne sont absolument pas menacés et qu’ils peuvent même augmenter leur pouvoir malgré la guerre. Mais je suis optimiste parce que je ne pense pas que le régime de Poutine sera capable de subsister encore 70 ans. »