Le parti Alternative für Deutschland (AfD) est sur la sellette depuis que certains de ses membres ont rencontré Martin Sellner, nouvelle star de l’extrême droite européenne.

Nom 

Martin Michael Sellner

Âge 

35 ans

Fonctions 

Influenceur, idéologue, militant vedette du mouvement identitaire autrichien

Mots clés

Extrême droite, remigration, néonazisme, Tinder

Pourquoi on en parle

Martin Sellner fait l’actualité bien malgré lui. Fin novembre 2023 à Potsdam (en Allemagne), ce jeune militant autrichien a rencontré des membres du parti allemand Alternative für Deutschland (AfD) afin de faire part de ses idées sur le concept de « remigration » et la façon de le mettre en œuvre. Ce « meeting secret », révélé mi-janvier par le média d’investigation Correctiv, a provoqué une onde de choc en Allemagne, poussant des centaines de milliers de citoyens à descendre dans la rue pour manifester contre la formation d’extrême droite, qui ne cesse de gagner en importance depuis sa création en 2013.

PHOTO ADAM BERRY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation contre l’AfD le 14 janvier dernier, à Berlin

Le gendre idéal ?

À seulement 35 ans, Martin Sellner est une star du mouvement identitaire germanophone. Comme Éric Zemmour en France, il plaide pour une société blanche homogène, idéalement chrétienne, et prône par conséquent l’expulsion des immigrants dans leur pays d’origine, soit la « remigration ». Sellner est connu pour ses coups d’éclat anti-immigration et son travail d’influenceur sur les réseaux sociaux. Il a même créé une sorte de Tinder identitaire, afin de connecter les « patriotes » qui pensent comme lui. Son passé dans les cercles néonazis est documenté, ce qui ne l’empêche pas d’avoir l’air du gendre idéal, moitié hipster, moitié intello. Il est marié à l’autrice et youtubeuse américaine Brittany Pettibone, nationaliste d’ultradroite décrite comme la « Barbie white power » (RationalWiki).

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE BRITTANY PETTIBONE

Brittany Pettibone à une manifestation antivaccin à Vienne, en 2022

Un programme plus lisse

L’AfD ne fait pas ouvertement la promotion de la « remigration ». Officiellement, son programme admet la citoyenneté pour les Allemands qui ne sont pas de souche. Mais selon Axel Salheiser, chercheur à l’institut pour la démocratie et la société civile (à Iéna, en Allemagne), « le racisme et les déclarations antimigratoires de ses dirigeants disent tout le contraire ». Que certains membres du parti s’intéressent aux idées de Martin Sellner ne fait rien pour dissiper les doutes et vient confirmer la dérive radicale de la formation politique. « Si on analyse les discours de l’AfD, on a des preuves claires qu’ils tendent vers la pureté ethnique, la dévaluation et la discrimination des gens avec un passé migratoire », ajoute le spécialiste des mouvements d’extrême droite.

En hausse dans les sondages

En Allemagne, comme partout en Europe, ce courant de pensée gagne du terrain. Plus populaire que jamais, l’AfD se voit actuellement attribuer 20 % des intentions de vote au niveau national, deux fois plus que les 10,3 % récoltés aux élections fédérales de 2021. Le parti est particulièrement prisé dans l’est du pays, et rien n’exclut une victoire aux élections prévues cet automne dans les provinces de Thuringe, de Saxe et de Brandebourg, où son soutien s’élève à 30 % selon les sondages. Sans parler des élections européennes de juin, où il pourrait augmenter son nombre de sièges – il en compte 9 actuellement. Dans un pays encore marqué par son passé nazi, cette perspective inquiète. D’où cette mobilisation générale de la semaine dernière. Codirigé par Tino Chrupalla et Alice Weidel, l’AfD détient actuellement 78 sièges sur 736 au Parlement allemand (Bundestag).

PHOTO KAY NIETFELD, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les dirigeants de l’AfD, Tino Chrupalla et Alice Weidel

Interdire l’AfD ?

Certains n’ont pas attendu pour tirer la sonnette d’alarme. Depuis juin 2023, le député conservateur Marco Wanderwitz veut convaincre le Parlement de lancer une procédure pour sortir l’AfD de l’échiquier politique, chose théoriquement possible en Allemagne s’il est démontré qu’un parti contrevient à la « loi fondamentale » du pays. Mais ce processus politico-légal peut s’avérer long et compliqué, souligne Axel Salheiser : « Cela prendrait trois ans, quatre ans, peut-être même plus longtemps, et son résultat n’est pas garanti. » L’expert rappelle qu’en 2017, la Cour constitutionnelle allemande a refusé d’interdire les néonazis du Parti national démocrate (NPD), arguant qu’il n’avait pas assez d’influence. Il faut remonter à 1956 pour voir l’interdiction d’un parti politique en Allemagne.

Éradiquer une idée

Pour certains, il est déjà trop tard. Avec près de 80 sièges au Parlement allemand, l’AfD est devenu un acteur incontournable dans le paysage politique allemand. En outre, rien ne dit que son interdiction tuerait le germe. Cela consoliderait plutôt la formation dans son discours de victimisation. « Éradiquer une idée, même si c’est une idée détestable, ça ne marche jamais », constate le politologue Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques. « Le risque, quand on interdit quelque chose, c’est qu’on lui donne un parfum de soufre et que les gens ont envie d’aller voir. ». À moins qu’elle ne mette officiellement la remigration à son programme, ce qui ne semble pas exclu. « L’AfD n’a jamais officiellement dépassé cette ligne, conclut Jean-Yves Camus. Mais si les gens qui se sont réunis à Potsdam finissent par prendre le contrôle du parti, ça va devenir une autre affaire… »