(Moscou) Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un est arrivé mardi en Russie pour une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine qui pourrait, selon Washington, déboucher sur un accord de vente d’armes pour soutenir l’offensive russe en Ukraine.

Les deux hommes doivent notamment parler de « sujets sensibles » dans les jours à venir, selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

Parti dimanche soir de Pyongyang à bord d’un train blindé, Kim Jong-un effectue son premier voyage à l’étranger depuis le début de la pandémie de COVID-19. Il avait déjà rencontré M. Poutine au cours de son précédent voyage à l’étranger, à Vladivostok en 2019.

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Kim Jong-un et Vladimir Poutine à Vladivostok, en Russie, le 25 avril 2019.

M. Kim devrait le retrouver dans les prochains jours quelque part dans l’Extrême-Orient russe. Moscou n’a précisé ni la date ni le lieu de la rencontre.

Les autorités russes ont en revanche diffusé des images montrant le numéro un nord-coréen reçu par une délégation et une garde d’honneur à la gare de Khassan, située à proximité de la frontière.

Selon le gouverneur de la région du Primorié, Oleg Kojemiako, Kim Jong-un s’est entretenu pendant cet arrêt avec le ministre russe de l’Écologie et des ressources naturelles Alexandre Kozlov.

« Une visite de ce niveau est un bon message pour le développement […] de contacts directs avec nos collègues de la Corée du Nord », a commenté M. Kojemiako sur Telegram.

Vladimir Poutine, qui se trouve actuellement à Vladivostok pour un forum économique annuel s’achevant mercredi, n’a pas été interrogé sur le déplacement du dirigeant nord-coréen, en dépit d’une longue session de questions-réponses.

Le président russe a seulement dit qu’il se rendrait prochainement au cosmodrome de Vostotchny, à un millier de kilomètres à vol d’oiseau de Vladivostok, refusant de préciser ce qu’il prévoyait d’y faire.

Armements

Son porte-parole, Dmitri Peskov, a quant à lui déclaré aux médias russes que MM. Poutine et Kim allaient discuter de sujets « sensibles » sans prêter attention « aux mises en garde » américaines.

Washington craint que la Russie ne s’approvisionne en armes pour ses opérations militaires en Ukraine auprès de la Corée du Nord, elle-même sous sanctions à cause de ses programmes nucléaire et de mise au point de missiles.

« En bâtissant nos relations avec nos voisins, y compris la Corée du Nord, l’important pour nous est l’intérêt de nos pays et pas les mises en garde de Washington », a lancé M. Peskov.

Selon le journal sud-coréen Chosun Ilbo, au moins 20 heures sont nécessaires pour aller par voie ferrée de Pyongyang à Vladivostok, en partant de l’hypothèse que le train spécial, blindé et très lourd, de M. Kim roule à environ 60 km/h.

Il est accompagné de hauts responsables militaires, parmi lesquels son ministre de la Défense et des cadres de l’appareil de production d’armes et du secteur de la technologie spatiale, selon les médias officiels.

D’après des experts, la rencontre entre MM. Poutine et Kim pourrait porter sur un accord dans le domaine de l’armement, car M. Poutine chercherait à acquérir des obus et des missiles antichars.

Liens historiques

Pour Siemon T. Wezeman, du Stockholm International Peace Research Institute, « il est tout à fait crédible que la Corée du Nord dispose d’importants stocks de munitions compatibles avec les systèmes d’artillerie utilisés par les forces russes ».

Un tel accord constituerait « une violation sans équivoque » des résolutions de l’ONU sanctionnant la Corée du Nord, estime l’expert.

De son côté, Pyongyang serait en quête de technologies de pointe pour des satellites et des sous-marins à propulsion nucléaire, ainsi que d’une aide alimentaire.

Washington a tourné en dérision cette rencontre, y voyant un signe que M. Poutine « supplie » qu’on l’aide à mener à bien ses opérations en Ukraine. Pour Paris, l’actuel déplacement de M. Kim est « la marque » visible de l’isolement de Moscou.

La Russie et la Corée du Nord ont des liens historiques et Kim Jong-un a fait part à plusieurs reprises de son soutien aux Russes dans leur offensive en Ukraine.

Pour Andreï Lankov, de l’université Kookmin de Séoul, un sommet Poutine-Kim fait partie d’un « aimable chantage diplomatique » de Moscou envers Séoul, car la Russie veut dissuader les Sud-Coréens de fournir du matériel militaire à l’Ukraine.  

La Corée du Sud est un important exportateur d’armements. Elle en a vendu à la Pologne, une alliée de Kyiv, mais sa politique consiste à ne jamais en fournir à des parties directement engagées dans des conflits armés.

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Vladimir Poutin et Kim Kim Jong-il, père et prédécesseur de Kim Jong-un, le 23 août 2002 à Vladivostok, en Russie.

Ce que l’on sait des liens entre la Corée du Nord et la Russie

Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, qui sort rarement de son pays, se trouve en Russie pour une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine susceptible selon Washington de déboucher sur un accord de vente d’armes en soutien à l’invasion russe en Ukraine.

Pyongyang, soumis à des sanctions internationales pour son programme d’armement nucléaire, a régulièrement démenti fournir des armes à la Russie, mais pourrait prochainement modifier cette position, selon des experts.

Que peut offrir la Corée du Nord à la Russie ?

Début septembre, Washington a assuré que Pyongyang, malgré ses démentis, avait fourni des roquettes d’infanterie et des missiles à la Russie en 2022, destinés au groupe paramilitaire privé Wagner.

Pour Joseph Dempsey, chercheur à l’Institut international d’études stratégiques, Moscou serait surtout intéressé par des obus d’artillerie.

« La Corée du Nord détient vraisemblablement les plus gros stocks d’obus d’artillerie de l’époque soviétique, qui pourraient être utilisés pour reconstituer les stocks russes appauvris par la guerre en Ukraine », dit-il à l’AFP.

Quelle que soit l’issue du sommet, « la nouvelle structure de guerre froide entre la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon contre la Corée du Nord, la Chine et la Russie se renforcera », confie à l’AFP Yang Moo-jin, président de l’université des études nord-coréennes à Séoul.

Que veut la Corée du Nord en échange ?

Pour les analystes, la Russie dispose de tout ce dont la Corée du Nord a besoin.

« La Russie est un pays exportateur alimentaire, exportateur d’engrais, exportateur d’énergie », relève Cho Han-bum, chercheur à l’Institut coréen pour l’unification nationale.

Pyongyang pourrait également, selon lui, rechercher le transfert de « technologies clés, de savoir-faire et de capacité manufacturière pour faire progresser l’industrie d’armement nord-coréenne ».

Un rapport de l’ONU a souligné en 2022 le rôle d’un diplomate nord-coréen à Moscou pour se procurer des technologies de missiles balistiques et même tenter d’obtenir trois tonnes d’acier pour le programme de sous-marins nord-coréen.

Pyongyang pourrait également tirer des bénéfices diplomatiques d’un éventuel accord qui enverrait un message à la Chine.

« Depuis la Guerre froide, la Corée du Nord a toujours pratiqué la “diplomatie du pendule” entre la Chine et l’Union soviétique », observe Park Won-gon, un professeur de l’université Ewha.

Qu’ont apporté les précédents sommets ?

Alliée historique de la Corée du Nord, la Russie est un soutien majeur de ce pays reclus depuis sa création il y a 75 ans.

Mais l’Union soviétique avait réduit ses financements lorsque Pyongyang a commencé à chercher une réconciliation avec Séoul dans les années 1980. Et sa chute en 1991 a lourdement frappé la Corée du Nord.

En 2000, le premier sommet entre la Fédération de Russie et la Corée du Nord débouche sur une déclaration commune pour la coopération économique et les échanges diplomatiques.

La signature d’un accord entre M. Poutine et Kim Jong-il, décédé en 2011, père et prédécesseur de M. Kim, relance les relations.

Kim Jong-un, alors en quête d’appuis face à l’impasse sur le nucléaire avec Washington, effectue sa première visite officielle en Russie en 2019. Aucun communiqué commun n’est publié.

Mais M. Kim soutient fermement l’invasion russe de l’Ukraine, y compris selon Washington en fournissant des roquettes et des missiles.

En juillet, M. Poutine a salué la Corée du Nord pour son « ferme soutien à l’opération militaire spéciale contre l’Ukraine », dans un discours lu à Pyongyang par son ministre de la Défense Sergueï Choïgou.

Que signifierait un accord Pyongyang-Moscou ?

La Maison-Blanche a mis en garde Pyongyang la semaine dernière contre toute vente d’armes à la Russie en soutien de sa guerre en Ukraine. Cela n’améliorera pas « l’image » de la Corée du Nord et « ils en paieront le prix au sein de la communauté internationale », a déclaré le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan.

Sans tenir compte de l’avertissement, M. Kim est parti dimanche pour la Russie, selon KCNA, l’agence officielle nord-coréenne. Il était accompagné des principaux responsables militaires, dont ceux chargés de la production d’armement et de la technologie spatiale.

Cheong Seong-chang, chercheur à l’Institut Sejong, dit à l’AFP que si Pyongyang intensifie sa coopération militaire avec Moscou, « il y aurait une probabilité accrue de conflit prolongé en Ukraine ».

En récompense de son aide à Moscou, « le développement des sous-marins nucléaires et des satellites de reconnaissance de la Corée du Nord pourrait progresser à un rythme plus rapide ».

Si Moscou et Pyongyang s’engagent effectivement dans des envois d’armement, leur localisation relèvera de « la responsabilité de la communauté internationale ». S’il s’agit d’obus, Pyongyang « pourrait les transporter en train vers Moscou », note-t-il.