La mort d’une jeune femme enceinte hospitalisée après la rupture prématurée de ses membranes a plongé la Pologne en état de choc. Au cœur de la vague d’indignation : les lois antiavortement qui paralysent le corps médical.

Admise à l’hôpital le 21 septembre après avoir perdu ses eaux à 22 semaines de grossesse, Izabela avait peur de ne pas en sortir vivante. Dans un texto à sa mère, elle a prédit avec précision le sort qui l’attend.

« L’enfant pèse 485 grammes. Pour l’instant, à cause de la loi antiavortement, je dois rester couchée. Ils ne peuvent rien faire. Ils attendent qu’il meure ou qu’il se passe quelque chose. Sinon, c’est le choc septique, je n’en sortirai pas. »

« Les femmes sont des incubateurs », s’indigne la Polonaise de 30 ans dans un autre message.

Puis : « J’ai 39,9 degrés de fièvre. Heureusement que j’ai apporté mon thermomètre parce que personne ne vérifie ma température. »

Lorsque le corps de la jeune femme a commencé à expulser son fœtus malformé, les médecins se sont finalement résolus à procéder à une césarienne. Mais il était trop tard. Comme elle l’appréhendait, Izabela est morte des suites d’un choc septique, moins de 24 heures après avoir été hospitalisée à Pszczyny, petite ville du sud de la Pologne.

Sa mort, rendue publique fin octobre, a provoqué une onde de choc à travers le pays. Des dizaines de milliers de messages outrés ont déferlé sur les réseaux sociaux sous le mot-clic #pasunedeplus.

Pour leurs auteurs, la mort d’Izabela est la conséquence directe du resserrement de l’accès à l’avortement décrété il y a un an par le Tribunal constitutionnel de la Pologne.

La Pologne avait déjà une des lois antiavortement les plus restrictives de la planète, qui ne permettait des interruptions de grossesse qu’en cas de viol ou d’inceste, de danger pour la santé ou la vie de la mère, ou d’une malformation fœtale.

Le 22 octobre 2020, le Tribunal constitutionnel a décidé que cette dernière exception ne respectait pas la Constitution.

Effet paralysant

Cette décision a eu un « effet paralysant » sur le système de santé, dit Jolanta Budzowska, avocate spécialisée dans les erreurs médicales qui représente la famille d’Izabela.

« Les médecins ont de plus en plus peur d’interrompre des grossesses, ils attendent d’être sûrs que la vie de la patiente est vraiment menacée, parce qu’ils ne savent pas comment l’appareil judiciaire traitera leur décision », dit Antonina Lewandowska, membre de Federa, une fédération défendant les droits reproductifs des femmes, et coordonnatrice de l’ONG Astra Network, un réseau pour la santé sexuelle et reproductive en Europe centrale.

Les deux femmes conviennent que la mort d’Izabela est le résultat d’une erreur médicale. Mais elles soulignent que cette erreur a été commise dans un contexte particulier, et que la décision prise par le Tribunal constitutionnel il y a un an y a grandement contribué.

Le problème, c’est que même si l’avortement en cas de danger pour la vie de la mère reste autorisé, les médecins hésitent à diagnostiquer l’existence d’un tel danger. Dans le cas d’Izabela, il était manifestement trop tard.

« Dès la décision du Tribunal constitutionnel, nous avons prédit qu’elle entraînerait des morts », dit Antonina Lewandowska.

L’organisation Federa croule sous les appels à l’aide.

Depuis un an, 13 000 femmes ont fait appel à nous, c’est trois fois plus que l’année précédente.

Antonina Lewandowska, membre de Federa, une fédération défendant les droits reproductifs des femmes

Federa essaie notamment de diriger les femmes portant un enfant souffrant de malformations vers des médecins prêts à certifier que leur condition pose un danger pour leur santé mentale.

Pas un cas unique

Le cas d’Izabela n’est pas unique. Depuis sa mort, de nouveaux témoignages ont afflué dans les médias. Notamment celui du mari d’Ania, une autre femme enceinte de cinq mois, morte de choc septique alors que les médecins attendaient qu’elle accouche naturellement d’un fœtus mort, a rapporté le site d’information Onet.

Cette attitude attentiste ne débouche pas toujours sur la mort. Une cliente de Jolanta Budzowska a eu un choc septique en attendant que le cœur de son fœtus cesse de battre, à la suite d’une rupture prématurée des membranes.

« On a réussi à la sauver, mais elle est restée longtemps dans le coma, elle a perdu son utérus et un rein », relate Mme Budzowska.

« Les médecins se disent que la plupart des femmes survivent à ces situations et ils ne veulent pas prendre de risques en termes de responsabilité légale », ajoute-t-elle.

D’autant plus que le ministre de la Justice et procureur général de la Pologne, Zbigniew Zebro, est connu pour ses prises de position antiavortement.

Le resserrement des restrictions sur les interruptions de grossesse et son impact sur les pratiques médicales font peur aux femmes, qui hésitent à procréer, dit Antonina Lewandowska.

Les femmes savent, par exemple, que les médecins hésiteront à leur annoncer une malformation fœtale de crainte d’être confrontés à une demande d’interruption de grossesse.

Beaucoup de femmes nous disent qu’elles ont peur de devenir enceintes, qu’elles ne veulent pas prendre ce risque.

Antonina Lewandowska

Izabela avait déjà une fille de 9 ans, devenue orpheline. Elle avait aussi un mari, désormais veuf. Son histoire tragique a poussé des dizaines de milliers de femmes et d’hommes à manifester leur indignation à travers la Pologne, le week-end dernier.

Tournant

Les deux médecins qui se sont succédé à son chevet ont été suspendus. Sa mort fait actuellement l’objet d’une enquête. Et le gouvernement a émis de nouvelles directives rappelant au corps médical qu’il est légal de pratiquer un avortement quand la patiente est en danger.

Cette directive n’a pas de portée légale et ne changera pas grand-chose, dans un contexte général de stigmatisation de l’avortement, croit cependant Jolanta Budzowska.

Elle pense que l’histoire tragique d’Izabela n’en marque pas moins un tournant. À court terme, les femmes dans des situations semblables insisteront davantage pour obtenir une interruption de grossesse.

À long terme, les pressions pour changer « la loi archaïque » vont s’intensifier, prévoit-elle.

« Les femmes polonaises n’oublieront pas cette histoire, elles ne vont pas abandonner », résume l’avocate.

Car, selon les mots d’Antonina Lewandowska, « Izabela est maintenant devenue un symbole ».