(Paris) « Une onde de choc qui nous traverse. » Au procès des attentats du 13 novembre 2015 en France, des gendarmes ont raconté mardi le traumatisme persistant de l’explosion des kamikazes, au premier jour du témoignage des victimes.

Ces attentats, les plus sanglants jamais commis en France, ont fait 130 morts et plus de 350 blessés à Paris et à Saint-Denis, en banlieue.

Trois kamikazes

La cour — qui juge depuis le 8 septembre et pour environ neuf mois vingt accusés, dont le seul membre encore en vie des commandos Salah Abdeslam — a commencé à entendre mardi les victimes du Stade de France, aux abords duquel trois kamikazes s’étaient sont fait exploser.

Le stade accueillait ce soir-là un match amical entre la France et l’Allemagne et des gendarmes étaient là pour en assurer la sécurité.

« Gendarmes, policiers, pompiers, on est tous formés », mais « on n’est pas formé à voir un kamikaze », explique à la barre Philippe, major de gendarmerie à la retraite (les gendarmes venus témoigner ont demandé que leurs noms ne soient pas divulgués).

« Il y a un avant et un après, pour tous ceux qui étaient sur place », confie-t-il, la voix tremblante.

Trois explosions ont retenti aux abords du stade, entre 21 h 16 et 21 h 53. Entre-temps, les fusillades commencent sur les terrasses parisiennes et à la salle de concert du Bataclan.

« Une explosion violente me coupe la parole », se rappelle le chef d’escadron, prénommé Jonathan, en expliquant avoir vu ensuite « le visage de Monsieur Manuel Dias, ses yeux ouverts, il a les mains au sol, agenouillé. » Ce chauffeur d’autocar de 63 ans, qui venait de déposer des spectateurs, a été le seul à trouver la mort dans les attaques au stade, les premiers attentats-suicides djihadistes jamais perpétrés en France.

À 21 h 20, quand le deuxième kamikaze active sa ceinture, « j’ai peur de mourir à chaque instant, j’ai peur que ça explose n’importe où », dit Jonathan, qui était en compagnie de 12 membres de la garde républicaine, à cheval.

« Mort et désolation »

Une image reste, dit-il : le « mur du Stade de France », d’où résonnent les applaudissements, les « cris de joie », « inconciliables avec la mort et la désolation autour ».

Ce qui me traverse, c’est une onde de choc. Je suis rentré chez moi j’avais des bouts de chair dans les cheveux.

 Un policier prénommé Grégory

Sa voix s’emplit de larmes quand le président du tribunal lui demande comment il va.

« Un tronc humain coupé en deux »

Pierre, retraité de la gendarmerie toujours « traumatisé », « garde en (lui) l’explosion, le bruit, et l’odeur ». Et le « choc » d’avoir vu « un tronc humain coupé en deux ».

La fille de Manuel Dias, Sophie, témoigne à son tour en fin de journée. Cette femme de 39 ans évoque son « parcours du combattant » pour faire reconnaître sa perte, et sa « solitude » face au « manque d’empathie constant » des institutions.

Marylin, qui ne souhaite pas donner son patronyme, souligne que les victimes du Stade de France sont « les grands oubliés des attentats ». De ces attaques, elle a gardé l’écrou qui lui a été retiré de la joue droite — elle l’a apporté à l’audience — et une « peur de tout ».

La cour d’assises spéciale doit entendre près de 350 rescapés et proches pendant cinq semaines.

Le président de l’association de victimes Life for Paris, Arthur Dénouveaux, rescapé du Bataclan, a souligné que « le travail de préparation […] a été de leur dire : “Ce qui vous intéresse, c’est de dire ce que vous avez vécu, sans vous préoccuper des autres”. C’est comme ça que cela aura du sens ».

Les avocats ont aussi aidé les victimes à se préparer. Me Gérard Chemla explique ainsi avoir travaillé avec elles sur les « principaux freins à l’expression », comme la « culpabilité du survivant » et la « peur de craquer », soulignant que « pleurer publiquement, ce n’est pas une déchéance ».