La chaîne de télévision des Tatars de Crimée, une minorité musulmane majoritairement opposée à l'annexion en mars 2014 de la péninsule ukrainienne par la Russie, a cessé d'émettre mercredi après des mois de pressions exercées par les autorités russes.

En septembre dernier, ATR avait été accusée d'«extrémisme», le ministère de l'Intérieur local affirmant avoir été informé que la chaîne «attisait intentionnellement parmi les Tatars de Crimée un sentiment de défiance envers les autorités» russes.

«Nous avons arrêté d'émettre à minuit», a confirmé à l'AFP Lilia Boudjourova, directrice adjointe de la chaîne qui émet en trois langues, dont le tatar.

«Ce n'est pas la fin», a-t-elle assuré. «S'ils pensent qu'ils vont réussir à supprimer la chaîne, alors ils se trompent».

ATR et ses trois filiales, deux stations de radio et une chaîne pour enfants, n'ont pas reçu l'autorisation d'émettre des autorités russes, devant arrêter toute retransmission sous peine de se voir confisquer son matériel.

Environ 150 à 200 personnes se sont réunies devant les locaux de la chaîne à Simféropol en signe de soutien. «Les gens sont affreusement déprimés» par la situation, a souligné Mme Boudjourova, également correspondante pour l'AFP.

Sur son compte Twitter, le président ukrainien Petro Porochenko a condamné la fermeture de la chaîne. «Vous pouvez fermer la chaîne mais vous ne pouvez pas bloquer les aspirations à la liberté et à la vérité des Tatars de Crimée!», a-t-il écrit.

M. Porochenko a également annoncé avoir demandé au ministère de l'Information politique de mettre en place les conditions permettant à ATR d'émettre en Ukraine.

«Le principal crime de la chaîne, c'est de ne pas mentir», a jugé le dirigeant historique des Tatars de Crimée, Moustafa Djemilev, regrettant sa fermeture.

En mars 2014, Moscou a annexé la Crimée au terme d'un référendum contesté, largement boycotté par les 300 000 Tatars de Crimée, soit environ 12% de la population de la péninsule.

Depuis, les autorités russes ont arrêté de nombreux Tatars de Crimée, dont des dirigeants de la communauté, accusés d'avoir «organisé et participé à des troubles massifs» lors de heurts entre partisans et opposants de l'annexion de la Crimée par la Russie, le 26 février 2014.

Fin janvier, une cinquantaine de policiers avaient mené dans les locaux d'ATR une perquisition pour saisir les enregistrements vidéo de cette manifestation. Le signal hertzien de la chaîne avait alors été coupé et elle n'avait pu continuer à émettre que via l'internet et par satellite.

Pour autant, la chaîne n'envisage pas de quitter la péninsule de Crimée, a assuré à l'AFP le propriétaire d'ATR, Lenour Isliamov. «Cela correspondrait à une déportation culturelle», a-t-il jugé.

En 1944, sur ordre de Staline, les Tatars de Crimée avaient été déportés en Sibérie et en Asie centrale, accusés d'avoir collaboré avec les occupants nazis. Ils n'avaient été autorisés à revenir dans la péninsule qu'en 1991, lorsque la chute de l'URSS a mené à l'indépendance de l'Ukraine.

Les États-Unis ont accusé la Russie d'imposer le «règne de la terreur» en Crimée, dont l'annexion par Moscou a provoqué les pires tensions entre Moscou et les Occidentaux depuis la fin de la Guerre froide.