Cette année, il n'y aura pas de carnaval à Port-au-Prince, et il n'y en aura peut-être jamais plus pour Hored Stanley qui a perdu dans le séisme cinquante-sept de ses amis musiciens avec lesquels il préparait les festivités.

Hored Stanley, 35 ans, est sorti vivant du grand bâtiment dans lequel se trouvait l'école où il se trouvait avec ses compagnons. «J'ai crié, crié jusqu'à ce qu'ils me tirent» des décombres, raconte-t-il à l'AFP.

A côté de lui, dans la rue du Centre, en plein coeur de Port-au-Prince, se trouve un tas d'ordure fumant dans lequel on discerne au moins trois crânes et des ossements humains noircis. Un corps en décomposition gît sur le sol, dans la cour de l'école. Des photos et des bulletins scolaires sont éparpillés sur le sol.

Les voisins qui ont sauvé Hored ont retiré, à mains nues, les jours suivants douze corps du bâtiment effondré. En tout, Hored estime à au moins 200 le nombre de personnes tuées dans l'effondrement de l'immeuble.

Neuf jours après le tremblement de terre qui a fait au moins 111 000 morts, les résidents de la rue du Centre ont décidé d'incinérer en pleine rue les cadavres qui n'avaient pas été enlevés.

«Nous avons décidé de les brûler jeudi car personne ne venait les ramasser et l'odeur était insoutenable», explique Hored, qui a les épaules couvertes de cicatrices.

Il ne voulait pas participer à l'incinération des corps et il explique aujourd'hui qu'il n'oubliera jamais ces événements. «Nous sommes vivants, mais c'est comme si nous étions morts», dit-il, les yeux fixes et brillants.

«Nous étions réunis pour préparer le carnaval», raconte-t-il. Mais maintenant, «le carnaval, c'est fini pour moi. Plus jamais».

Hertha Bien-Aimé a perdu son fils de 21 ans. Il participait aussi à la réunion de préparation du carnaval avec deux nièces et une tante. «Que nous reste-t-il ?», dit Martha en haussant les épaules.

Les noms des disparus retirés des décombres ont été écrits sur un mur adjacent à l'école.

Le séisme a tué des familles entières à Port-au-Prince et personne ne réclame les dépouilles. La décision d'incinérer des corps a été prise collectivement, expliquent les résidents de la rue du Centre.

Normalement, le carnaval, qui se déroule en janvier et février, est un événement important dans ce pays des Caraïbes mais, cette année, le gouvernement a décrété 30 jours de deuil après le séisme.

Les habitants de la rue du Centre ne se souviennent pas d'un pareil désastre depuis la création de leur groupe musical il y a quarante ans.

Des réfugiés qui devaient participer au défilé du carnaval campent maintenant dans des bus et voitures garés à l'extérieur du state national. Ils étendent leurs vêtements, cuisinent à même le sol et attendent que quelqu'un leur dise ce qui va advenir de leur vie.

Sur une des voitures abondamment décorée, on peut lire le nom curieux de son propriétaire : Dj Cash Cash.

«Dj Cash Cash est mon ami», lance Valerie Jeanlouis, une Haïtienne, en train de laver ses vêtements. «Je lui ai demandé si je pouvais m'installer ici et il a dit oui.»

Valerie vit à Saint Domingue avec sa famille et elle était en visite à Port-au-Prince au moment du séisme. Sa fille, 17 ans a eu une fracture du crane et est hospitalisée. «Maintenant je dois rester», dit-elle.

«Le carnaval aurait été bien», ajoute Valérie, avec un sourire nostalgique. «Le carnaval de mon pays est le meilleur du monde, mais maintenant, il faudra attendre.»