Voyou. Vulgaire. Chef des opérations de corruption...

Peu de bons mots viennent à l'esprit du journaliste français Nicolas Beau quand il parle de Belhassen Trabelsi, le beau-frère du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali qui s'est réfugié à Montréal.

Dans La régente de Carthage*, un livre-enquête qu'il a écrit avec la journaliste Catherine Graciet, le journaliste et auteur dresse un sombre portrait du clan de la deuxième femme de Ben Ali, Leila Trabelsi. Il explique comment la première dame, aidée par son frère aîné favori, Belhassen Trabelsi (qu'il surnomme «le vice-roi de Tunisie»), a réussi à faire main basse sur l'économie tunisienne depuis 15 ans. On estime que, au moment de la chute du régime, les Ben Ali-Trabelsi possédaient environ la moitié des avoirs du pays.

«Belhassen Trabelsi est le bras armé du clan Trabelsi. Son rôle était considérable dans les opérations de corruption, de menaces et de mise au pas de l'économie tunisienne pour le clan», note Nicolas Beau, qui couvre le Maghreb pour diverses publications françaises, dont Libération et Le Canard enchaîné, depuis la prise de pouvoir de Ben Ali, en novembre 1987.

Détourner le pouvoir

Rien ne prédestinait Leila et Belhassen Trabelsi à devenir, avec leurs neuf frères et soeurs, l'incarnation de la corruption dans la Tunisie de Ben Ali. Enfants d'un vendeur de fruits secs, ils sont nés dans un milieu plutôt défavorisé à Khazenadar, près de Tunis. Leila était coiffeuse; son frère Belhassen, fort d'études en génie, exploitait un petit commerce de clinker, une composante du ciment. Tout cela a changé après le mariage de Leila avec le président Ben Ali, en 1992.

Dans son livre, M. Beau décrit en détail comment, à partir de 1996, Belhassen Trabelsi, aujourd'hui âgé de 46 ans, a utilisé l'ascendant grandissant de sa soeur sur son mari pour faire avancer ses affaires.

Dans les années 90, sa méthode de prédilection, selon le journaliste, consistait à acheter des terrains patrimoniaux ou agricoles à petit prix, à en faire modifier le zonage par le gouvernement grâce à l'influence de sa soeur et à y faire construire des demeures de luxe, pour ensuite revendre le tout à prix d'or. C'est notamment le sort qu'auraient connu le parc qui jouxtait le palais présidentiel de Skanès, dans la ville côtière de Monastir, et un terrain agricole surplombant le port d'El-Kantaoui, près de Hammam Sousse.

Écarter les concurrents

Des employés de Tunisair, transporteur aérien national, ont dénoncé d'autres malversations après que Trabelsi eut fait l'acquisition de la société Karthago, en 2001. Selon maints rapports, Tunisair s'est vu obligé de fournir gratuitement une foule de services à la société de Trabelsi: repas, entretien des appareils, ingénierie, etc. Dans son ouvrage, M. Beau note que, pendant que Tunisair s'enfonçait dans les dettes, les profits de Trabelsi, eux, ont monté en flèche.

Plusieurs personnes ont essayé au cours des ans de protester contre les agissements de Belhassen Trabelsi, mais elles ont vite fait l'objet de représailles, note Nicolas Beau. «Belhassen et le reste du clan utilisaient l'appareil sécuritaire de Ben Ali pour écarter les concurrents. Les tentatives d'assassinat sont rarissimes, en Tunisie; par contre, certains industriels qui gênaient le clan ont fini en prison ou ont été menacés et poursuivis en cour», explique M. Beau, qui était persona non grata en Tunisie jusqu'à tout récemment.

Au pays, la mémoire des abus de pouvoir de «monsieur le frère» est encore fraîche. La justice tunisienne a ouvert une enquête le concernant sur des acquisitions illégales de biens immobiliers et du trafic d'armes.

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* La régente de Carthage, main basse sur la Tunisie. Éditions La Découverte, 17 septembre 2009 (178 p.)