Avant d'être libérés mercredi, plusieurs dizaines de journalistes étrangers sont restés pendant cinq jours pris au piège de l'hôtel Rixos, sous la garde des sbires du régime, au coeur de la bataille de Tripoli mais dans l'incapacité de la couvrir. Sauf quand, dans une mise en scène surréaliste, le fils préféré de Kadhafi, Seïf al-Islam, y fait irruption pour démentir en personne son arrestation.

Mercredi, ils ont finalement été emmenés par le Comité international de la Croix-rouge (CICR) dans quatre voitures vers un autre hôtel de Tripoli où ils ont retrouvé leurs collègues, dans les larmes et les embrassades. Les représentants du CICR étaient venus à l'hôtel Rixos pour évoquer la sécurité des journalistes, lorsqu'ils ont été informés brusquement que leurs gardiens étaient prêts à les laisser partir.

Un peu plus tôt dans la journée, la situation était encore très tendue, les journalistes prisonniers sous la garde de deux loyalistes, armés de Kalachnikov et très nerveux, qui refusaient de quitter leur poste dans un hôtel quasiment vide dont le personnel avait fui, et malgré la débandade des forces du régime ailleurs dans Tripoli.Un autre journaliste d'Associated Press, entré dans l'hôtel, avait trouvé ses collègues, portant casques et gilets pare-balles regroupés à l'étage sous le contrôle d'un garde affirmant qu'ils n'avaient pas le droit de partir. Un autre kadhafiste mettait en joue le nouveau groupe de journalistes arrivés dans un véhicule des rebelles.Depuis plusieurs jours, les journalistes dormaient tous ensemble par terre dans une des ailes de l'hôtel, par mesure de protection, craignant en effet d'être attaqués s'ils restaient chacun dans leur chambre. Leurs bagages étaient faits, en prévision d'un départ précipité.Il n'y avait plus d'électricité, pas d'eau courante, et les réserves de bouteilles d'eau s'épuisaient, ainsi que les vivres.

Mardi à l'aube, le dauphin présumé de Mouammar Kadhafi, souriant et faisant le «V» de la victoire, a surgi dans cet hôtel de luxe où les armes des loyalistes les encerclant dissuadaient les journalistes de bouger.«Vous avez raté une super-histoire, a-t-il lancé à l'un d'entre eux. Mais venez avez nous, on va faire le tour des coins chauds de Tripoli». Une poignée de journalistes s'est donc enfournée avec Seïf al-Islam et sa garde rapprochée dans deux véhicules.Une promenade surréaliste dans la nuit de Tripoli s'en est suivie, jusqu'à l'entrée de Bab al-Aziziya, où quelque 200 loyalistes du régime attendaient des armes et ont fêté le fils du «Guide». Puis les gardiens ont ramené les journalistes dans leur prison à 400 dollars la nuit.Les journalistes y ont vécu sans la voir vraiment la bataille de Tripoli depuis ses débuts, au milieu du bruit des combats.Dans les guerres urbaines modernes, les grands hôtels jouent souvent le rôle de centre de presse de facto.

Le Commodore dans le Beyrouth des années 80, l'Holiday Inn de Sarajevo pendant la guerre de Bosnie dans les années 90, l'hôtel Palestine lors de l'invasion de l'Irak...Considérés comme relativement sûrs au milieu de villes transformées en zone de guerre, ils sont choisis en général pour leur toit offrant une bonne vue des combats. La présence des journalistes y est toujours connue, dans l'espoir que les forces en présence considèrent de leur intérêt de respecter la neutralité des lieux et de permettre aux médias de faire leur travail.Mais cela ne se passe pas toujours comme ça.

Au Rixos, les journalistes étaient tellement coupés du monde qu'il ne leur était plus possible de savoir quel camp tenait la rue. Si la semaine dernière le secteur semblait aux mains du gouvernement, l'approche des insurgés a rendu les gardiens fébriles, voire agressifs.L'un d'entre eux s'est mis à menacer les journalistes, affirmant qu'ils fournissaient des informations à l'insurrection, d'autres sont tout bonnement partis, comme l'a fait le principal porte-parole du gouvernement, Moussa Ibrahim, avec sa femme allemande et son bébé.Puis les troupes gouvernementales sont revenues en force, encerclant l'hôtel avec des armes lourdes, alors qu'on disait la rébellion en train de s'emparer du QG du régime, Bab al-Aziziya, non loin de là.Selon la journaliste de CNN Jomana Karadsheh, les hommes armés étaient 15 jusqu'à mardi. «Une fois dans la voiture, je n'ai plus pu m'arrêter de pleurer», dit-elle.Les combats se sont intensifiés mardi et lorsque les tirs se sont faits plus nourris et que la peur montait, les journalistes se réfugiaient dans les salles de conférence en sous-sol.

Deux téléphones satellites qui étaient sur un balcon ont été détruits par les tirs. Le groupe a donc attendu, dans la crainte que les sbires du régime ne se montrent tout à coup plus hostiles, jusqu'au dénouement mercredi.Devant l'hôtel déserté, le bus que les responsables de la propagande du gouvernement utilisaient au début du conflit pour véhiculer les journalistes était resté garé, inutile. Mercredi, son pare-brise arborait toujours un portrait géant de Kadhafi. Sans doute l'un des derniers de la ville.