L'accord pour un transfert pacifique du pouvoir au Yémen risque de se heurter à de nombreux obstacles, dont l'opposition des jeunes contestataires et des proches du président Ali Abdallah Saleh aux commandes, estiment jeudi des analystes.

Mais l'implication de l'Arabie saoudite, puissant voisin du Yémen, et l'unité de la communauté internationale sur le dossier yéménite donnent des chances de réussite à cet accord signé mercredi soir par le chef de l'État et l'opposition parlementaire à Riyad.

Des partisans de Saleh ouvrent le feu

Des partisans du président yéménite Ali Abdallah Saleh ont ouvert le feu jeudi à Sanaa sur une manifestation réclamant sa traduction en justice, faisant cinq morts, au lendemain d'un accord sur le transfert pacifique du pouvoir, mais le président Saleh a vite fait de dénoncer les tirs attribués à ses partisans.

Les manifestants étaient descendus dans les rues par milliers, à l'appel des «Jeunes de la révolution» à l'origine du mouvement de contestation populaire contre M. Saleh, pour protester contre le fait que l'accord signé mercredi à Riyad accorde l'immunité au président et à ses proches.

«Pas de garanties, traduction en justice», scandaient les jeunes partis de la Place du Changement, où ils campent depuis neuf mois pour réclamer la démission du chef de l'État.

Des partisans de M. Saleh en civil ont ouvert le feu en leur direction lorsqu'ils sont arrivés rue Zoubeiri, ligne de démarcation entre les zones tenues par les militaires dissidents qui protègent la Place du Changement et les secteurs de Sanaa contrôlés par les forces fidèles au président.

Cinq manifestants ont été tués et 34 blessés, selon un nouveau bilan de l'hôpital de campagne installé par les protestataires sur la Place du Changement.

Un bilan précédent faisait état de quatre morts et 27 blessés.

Les manifestants s'en sont également pris à l'opposition parlementaire, le Forum Commun, qui a signé l'accord avec M. Saleh.

«Forum Commun, al-Islah, partez après le boucher (le président)», ont scandé les jeunes. Le parti islamiste al-Islah est la principale composante du Forum Commun, qui regroupe également le Parti socialiste yéménite, parti au pouvoir dans l'ex-Yémen du sud.

La situation était tendue après la fin de la manifestation à Sanaa, des hommes armés fidèles et hostiles au régime étant déployés dans les rues, selon le correspondant de l'AFP.

Une manifestation réclamant la traduction en justice du président Saleh s'est également déroulée à Taëz, une ville à la pointe de la contestation au sud de Sanaa.

«Il y a eu beaucoup d'expériences amères avec Saleh, qui est souvent revenu sur des accords passés (...) et il est capable de provoquer une explosion de la situation», estime l'analyste Fares al-Saqqaf, président du Centre des études pour l'avenir à Sanaa.

«Mais aujourd'hui, il a signé le plan et les chances de ne pas l'appliquer sont minces, car il est soumis à la stricte surveillance de l'Arabie saoudite et de la communauté internationale», ajoute-t-il.

De plus, affirme l'analyste, le président yéménite a pu obtenir «une sortie honorable» contrairement à ses pairs tunisien, forcé à l'exil, égyptien traduit en justice et libyen tué lors de sa capture.

Conformément à l'accord, M. Saleh demeure président à titre honorifique pendant trois mois et obtient l'immunité pour lui et ses proches.

«Saleh a réalisé assez d'acquis et il est fatigué de danser au-dessus des serpents», ajoute M. Saqqaf, reprenant une comparaison souvent citée par le président pour évoquer le fait de gouverner le Yémen.

Pour sa part, Ibrahim Sharqieh de l'Institut Brookings basé à Doha estime qu'il y a «des chances réelles de succès de l'initiative des pays du Golfe (...) surtout en raison du parrainage du roi Abdallah d'Arabie saoudite et du fait que la communauté internationale a une position unifiée à l'égard du Yémen».

Mais les obstacles sont légion dans ce pays pauvre où les tribus sont fortement armées et où Saleh a joué les différentes composantes les unes contre les autres pour gouverner.

Pour M. Sharqieh, le défi le plus important est «la restructuration des forces armées et de sécurité» stipulée par l'accord. Le fils aîné du président, Ahmed, commande La Garde républicaine, une unité d'élite, alors que plusieurs de ses proches, dont ses neveux, sont à la tête d'autres organes de sécurité et seraient opposés à l'accord selon des analystes.

«C'est le véritable test. Le maintien de ces derniers signifiera le maintien du régime, malgré le départ de Saleh», dit-il.

Un autre défi de taille est la position des «Jeunes de la révolution» qui ont déclenché la contestation il y a dix mois: ils sont opposés à cet accord et réclament la traduction en justice du chef de l'État.

L'opposition parlementaire qui a signé l'accord avec le président «ne possède pas de légitimité pour représenter ces jeunes», dit M. Sharqieh.

«Les jeunes ont été exclus de la signature de l'accord et il est indispensable de les associer» à la solution, estime-t-il, par exemple «en les incluant dans un gouvernement» d'union nationale.

Quant à l'analyste yéménite Ali Saif Hassan, il souligne que les principales parties qui pourraient faire échouer l'accord «ont de bonnes relations avec l'Arabie saoudite», notamment les adversaires du président, l'influent chef tribal cheikh Sadek al-Ahmar et le puissant général dissident Ali Mohsen Al-Ahmar.

Mais il craint la formation «d'un gouvernement faible, ce qui constituerait une réédition du cas égyptien», et qui serait incapable de s'attaquer aux problèmes endémiques du pays: les sécessionnistes dans le sud, la rébellion zaïdite du nord et al-Qaïda qui étend son influence dans le pays.