La secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a discuté hier avec les dirigeants russes des pressions à mettre sur l'Iran qui développe son propre programme nucléaire. Mais dans ce dossier, comme dans le cas d'une aide en Afghanistan, les Russes «tiennent la dragée haute aux Américains», constate le professeur Jacques Lévesque, de l'UQAM, spécialiste de la Russie. La Presse en a discuté hier avec lui.

Q Les États-Unis et la Russie s'entendent pour dire que, dans le cas de l'Iran, l'application de sanctions pourrait devenir «inévitable» si ses dirigeants ne garantissent pas que l'objectif du programme nucléaire est pacifique. À quel point les Russes sont-ils prêt à mettre de la pression sur l'Iran?

 

R Entendons-nous bien, quand les Russes disent que les sanctions sont inévitables, ça ne veut pas dire qu'ils y participeront. Ils sont extrêmement réticents à aller très loin là-dessus. Mais ce serait un succès diplomatique considérable si leurs bonnes relations avec l'Iran permettaient de trouver une solution de compromis. Je présume que les Russes ont dit aux Américains: avant d'en arriver là, il faudrait négocier.

Q Les Américains ont récemment abandonné leur projet de bouclier antimissile de longue portée, qui aurait nécessité l'installation d'équipements militaires aux portes de la Russie. La décision a évidemment plu aux Russes ?

R C'est considérable pour les Russes. L'autre grosse pomme de discorde, qui se règle par la force des choses, est l'adhésion de la Géorgie et de l'Ukraine à l'OTAN, qui a été renvoyée aux calendes grecques. Les Russes se montrent donc davantage disposés à collaborer sur l'Afghanistan, en ouvrant l'espace aérien et terrestre pour le transit de matériel militaire américain. C'est très important pour les États-Unis, à cause de la situation incertaine au Pakistan. Et selon Robert Gates, cela représente des économies de quelque 700 millions de dollars dans le budget militaire américain.

Q Il reste que ces dossiers qui tiennent tant aux Américains, et pour lesquels ils tiennent à obtenir la collaboration des Russes, ne sont pas une priorité pour le Kremlin ?

R Non. Ce que les Russes disent sans le dire, parce qu'ils sont en bons termes avec les États-Unis, c'est: vous avez protesté du bout des lèvres quand l'Inde et le Pakistan se sont dotés de l'arme nucléaire, mais quand il s'agit d'un État avec lequel vous n'avez pas de bonnes relations, il faut l'empêcher au nom de la non-prolifération. L'Iran est un partenaire de la Russie. Ils y vendent des armes, ils construisent une centrale nucléaire à des fins pacifiques. Ce sont deux producteurs gaziers qui collaborent. L'idée d'un Iran nucléaire les dérange, mais les gêne infiniment moins que les Américains.

Q Que demandent les Russes de leur côté?

R En ce moment, les Russes tiennent un peu la dragée haute aux Américains. Ils leur ont demandé d'abandonner le bouclier antimissile et ils ont obtenu satisfaction. Les Américains vont leur demander une collaboration sur l'Iran et l'Afghanistan.

Q Et les droits de l'homme en Russie? Hillary Clinton a rencontré hier à Moscou des militants des droits humains et a critiqué l'impunité des meurtriers de la journaliste Anna Politkovskaïa.

R Tous les dirigeants américains se font un point d'honneur d'aller rencontrer des opposants en Russie pour leur donner un soutien moral. Mais Obama a tenu un discours en rupture avec Bush en disant que les États-Unis sont pour la démocratie, mais que ce n'est pas à eux de l'exporter.