Les détails d'un procès qui se déroule actuellement en Chine ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête: plus de 40 enfants des régions rurales ont été arrachés à leur famille par un réseau organisé qui voulait les revendre dans les villes au sud de Pékin. Certains, malades, ont été abandonnés à leur sort.

Dao Xiufen est bien connue dans les villages du Yunnan, près de la frontière avec le Vietnam: des parents qui veulent vendre un enfant savent que c'est la personne à contacter.

Selon les informations qui émergent de son procès à Nanjing, elle et 22 autres accusés ont trafiqué pas moins de 41 enfants ces dernières années, dont certains n'ont pas survécu à leurs sévices.

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Dao Xiufen, qui risque la peine de mort, a agi comme personne ressource dans les villages de Gejiu et Yuanyang. Des parents ont fait affaire avec elle pour se défaire de leur rejeton naissant, le plus souvent une fille non désirée.

Toujours selon ce qui est rapporté du procès, le prix était proportionnel à la valeur des sexes dans des régions chinoises: 500 yuans pour une fille, soit environ 75$, et 10 fois plus pour les garçons. Une application concrète, bien qu'épouvantable, de la loi de l'offre et de la demande.

Mais Dao n'a pas agi seule. Son présumé contact en ville, c'est Lang Chunyan. Cette autre femme est décrite comme la tête dirigeante du réseau de trafiquants d'enfants. Quand Dao avait des enfants à lui vendre, elle se rendait au Yunnan avec ses deux soeurs et ramenait les poupons dans la province du Shandong, au sud de Pékin.

C'est là qu'elle faisait son profit. Un profit énorme, puisqu'elle revendait les fillettes quelque 6000 yuans (près de 1000$). Pour les garçons, la facture pouvait atteindre les 20 000 yuans (environ 3000$).

Les enfants étaient vendus à des couples aisés, trouvés grâce à un réseau de «distributeurs» que dirigeait le mari de Lang, Shen Yuzhou. Des couples qui, on le présume, sont incapables d'en avoir eux-mêmes.

Les affaires allaient plutôt bien jusqu'au 24 mai de l'an dernier. Dans le train K156 entre Kunming et Nanjing, les policiers ont alors remarqué quatre femmes suspectes qui avaient toutes un enfant en bas âge. Quelques vérifications et le réseau venait d'être démantelé.

Le couple Lang et Shen a lui-même déjà bénéficié de la présence d'un enfant acheté. En 2005, après leur mariage, les époux, incapables d'avoir un bébé, ont acheté un petit de 5 mois pour 4000 yuans. Le nom qu'ils lui ont donné relève du cynisme: Shen Tianci, qui signifie don du ciel.

Sauf qu'en 2007, ils ont réussi à avoir leur propre enfant, une fille. Le «don du ciel» a donc été laissé à lui-même. Quand le tribunal lui a demandé où son «fils» se trouvait, Lang Chunyan a répondu qu'elle ne le savait pas.

À une autre occasion, en novembre 2005, après avoir acheté un enfant de Dao dans le but de le revendre, Lang s'est rendu compte que le petit était malade. Elle est donc allée à l'hôpital où le médecin lui a dit que le cas était grave. Comme elle ne voulait pas payer les frais, elle a laissé mourir l'enfant, selon ce qui est rapporté en cour.

De nombreux cas

Le trafic d'enfants, la Chine connaît. Selon des données publiées par l'Unicef, quelque 10 000 personnes sont victimes de ce trafic par année dans le pays. Il y a 90% de femmes et 10% d'enfants. Ce qui fait un millier de jeunes.

Quand on lui rappelle ses propres chiffres, la grande patronne de l'Unicef en Chine, Yin Yin Nwè, se montre sceptique. «Ce que vous avez vu sur notre site web, ce sont les statistiques officielles du gouvernement, dit-elle. Il faut dire qu'elles ne sont pas fiables. Probablement que les données peuvent être plus élevées. Parce que c'est un phénomène caché. Le trafic, c'est toujours caché.»

Comme dans le cas actuellement devant le tribunal de Nanjing, ce sont la plupart du temps des enfants de régions rurales qui sont amenés vers la zone côtière, où des personnes plus riches les achètent à des passeurs. Un phénomène suffisamment important pour que Pékin décide de l'attaquer de front.

«Il y a cinq ans, le gouvernement chinois ne voulait pas qu'on travaille avec lui sur cette question, explique Mme Nwè. Il disait que ce n'était pas de nos affaires. Mais le gouvernement a changé d'avis.»

Et quand le gouvernement central décide qu'il s'agit d'une priorité, l'argent est là pour lutter contre le problème, ajoute-t-elle, même si «parfois, les politiques ne sont pas exécutées au niveau des provinces, des comtés, des villages».

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Et les femmes...

Il n'y a pas que le trafic des enfants qui inquiète, celui des femmes aussi. Encore ici, les victimes sont pauvres. Une agence leur fait miroiter un emploi en ville, alors qu'elles sont en fait vendues à des hommes qui cherchent une épouse ou à des réseaux qui leur font faire de la prostitution. L'hiver dernier, Pékin a signé une entente avec le Vietnam pour contrer le trafic transfrontalier. Mais la demande reste grande et les jeunes femmes viennent aussi d'autres pays autour, comme la Birmanie, la Mongolie, la Russie ou le Népal. Une des causes de cette demande: la politique de limitation des naissances qui, depuis 30 ans, a fait augmenter la proportion d'hommes, les petites filles étant moins prisées. «En 2020, il y aura 30 millions de jeunes hommes sans jeune femme en Chine. Donc, la demande est là», dit Yin Yin Nwé, directrice de l'Unicef en Chine.

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Des enfants dans les usines

La grande patronne de l'Unicef en Chine a beau reconnaître les efforts que fait le pays pour réduire le trafic d'enfants, il reste un domaine où elle ne peut rien faire: celui du travail des enfants en bas âge. Des cas d'enfants travaillant dans des usines dans des conditions de grande misère ont beau avoir défrayé la chronique, Pékin résiste à toute aide de l'extérieur pour contrer le problème. «Le gouvernement dit qu'il n'embauche personne de moins de 16 ans dans le secteur public et on le croit. Mais il y a aussi le secteur privé, qui est en pleine croissance, et on croit que là, il y a des travailleurs de moins de 16 ans. Et on doit travailler là-dessus», dit Yin Yin Nwè.