Le gouvernement Couillard resserre l'usage de cinq pesticides néfastes pour la santé humaine et pour les insectes pollinisateurs, comme les abeilles. Les agriculteurs devront bientôt recevoir le feu vert d'un agronome avant de les utiliser, a annoncé hier la ministre de l'Environnement, Isabelle Melançon. Mais certains doutent que cette stratégie permette de réduire l'usage de ces produits.

USAGE GÉNÉRALISÉ

Le ministère de l'Environnement calcule que 93 % des terres où sont utilisés les pesticides visés par les nouvelles règles n'en ont pas besoin. Les produits sont appliqués à des fins de prévention et non pour endiguer de réelles infestations. Québec veut stopper cet usage généralisé. Il n'est donc pas question de les bannir, comme le fera bientôt la France, mais plutôt de restreindre leur utilisation. « Avec une prescription, on n'ira plus de façon systématique, a expliqué la ministre Melançon. Le but, c'est d'encadrer pour ne plus que ce soit un automatisme. »

UNE « PRESCRIPTION »

Les agriculteurs qui voudront utiliser les pesticides devront bientôt consulter un agronome. Celui-ci devra évaluer les besoins de l'exploitation et prescrire un programme de traitement approprié. Québec croit que cette stratégie permettra de réduire l'utilisation préventive et de cibler les applications dans les lieux où elles sont réellement nécessaires. L'exploitant devra présenter son ordonnance au moment d'acheter les produits. Les cinq produits seront par ailleurs bannis en milieu urbain, où ils ne servent pas dans la production alimentaire à grande échelle.

CINQ PESTICIDES NÉFASTES

La réglementation vise cinq pesticides de trois familles différentes. L'atrazine, un herbicide qui sert surtout dans la production de maïs, sera le premier produit visé par Québec. Son utilisation sera restreinte dès l'été. Connu pour ses effets sur la santé humaine, ce produit est interdit depuis 2003 dans l'Union européenne. L'utilisation de trois molécules de la famille des néonicotinoïdes sera restreinte l'an prochain. Ces substances sont soupçonnées d'être responsables du déclin des populations d'abeilles observé dans les dernières années. Enfin, l'utilisation d'insecticides à base de chlorpyrifos sera limitée à partir de 2019. Ces produits causeraient des problèmes de développement du cerveau chez des enfants dont les mères ont été exposées pendant la grossesse.

PAS DE CIBLE

Le ministère de l'Environnement s'attend à ce que les nouvelles mesures entraînent une chute importante de l'utilisation des pesticides les plus néfastes. La ministre Melançon n'a toutefois pas été en mesure de préciser dans quelle mesure. Son gouvernement n'a fixé aucune cible de réduction. Québec n'a pas non plus mené une étude pour déterminer l'impact économique de la réforme sur le milieu agricole. Les fonctionnaires du ministère de l'Environnement calculent que la mesure entraînera des coûts d'environ 500 $ par année pour les producteurs.

« EXCESSIVE ET INUTILE »

Les représentants du monde agricole brillaient par leur absence à l'annonce de la ministre Melançon. Les Producteurs de grains du Québec ont qualifié les mesures d'hier d'« excessives et inutiles » puisqu'elles imposent davantage de paperasse à leurs membres. L'Union des producteurs agricoles (UPA) a pour sa part souligné qu'à l'heure actuelle, les agriculteurs appliquent déjà des pesticides sur les conseils d'agronomes. Le recours à la prescription ne fera que reproduire une situation qui existe déjà, a noté le porte-parole du syndicat, Patrice Juneau. C'est pourquoi l'UPA doute que la mesure entraîne une baisse de l'usage des pesticides. « La situation ne changera pas », a résumé M. Juneau.

UNE « BÉQUILLE TEMPORAIRE »

L'annonce d'hier a été applaudie par la Fédération des apiculteurs, dont l'industrie est menacée par le déclin des populations d'abeilles. L'organisme pressait depuis des années les autorités de restreindre l'utilisation des pesticides. « L'abeille, c'est comme une sentinelle pour l'humain, a indiqué son président, Stéphane Leclerc. C'est comme le canari dans une mine. Quand l'abeille tombe, ça veut dire que nous aussi, on va tomber. » Louise Hénault-Éthier, de la Fondation David Suzuki, presse le gouvernement fédéral d'interdire l'usage de ces substances. Mais elle s'est réjouie de l'annonce d'hier, y voyant un pas dans la bonne direction. « La prescription ne doit pas devenir une nouvelle norme, mais bien devenir une béquille temporaire jusqu'à ce que l'usage d'alternatives non toxiques soit généralisé », a-t-elle dit.