Le réchauffement climatique qui s'annonce au cours des prochaines décennies pourrait transformer la forêt boréale québécoise en refuge nord-américain pour l'épinette noire, selon une étude d'un chercheur de l'UQAM publiée aujourd'hui dans la revue Science.

Contrairement à ce qui risque de se passer ailleurs au Canada et aux États-Unis, la hausse des températures devrait favoriser, du moins au nord du 49e parallèle, la croissance de l'espèce reine de la forêt boréale, selon l'auteur principal de l'étude, Loïc D'Orangeville, étudiant postdoctoral au Centre d'étude de la forêt et à l'Université de l'Indiana.

Des études antérieures ont démontré que le réchauffement climatique a des effets positifs sur la productivité des forêts d'épinette en Russie, en Scandinavie et en Finlande. Mais il en va autrement en Amérique du Nord, note M. D'Orangeville. « Dans les études récentes sur les épinettes dans l'ouest et le centre du Canada, les auteurs observent que les arbres poussent moins bien lorsque l'année est chaude ou sèche. »

Cela s'explique par le fait que l'augmentation de la température s'accompagne d'une hausse de l'évaporation. 

« Il y a plus d'eau qui sort du système. Dans les forêts déjà un peu à la limite, le manque d'eau risque donc de contrecarrer la réponse favorable due au réchauffement », dit M. D'Orangeville.

Or, le Québec fait en quelque sorte figure de société distincte : les précipitations y sont de deux à trois fois plus élevées que dans l'ouest du pays, souligne M. D'Orangeville. Et cette particularité ne devrait pas changer au cours des prochaines décennies, selon les modèles de prévisions climatiques à long terme.

Réaction favorable

L'étude se base sur l'analyse des cernes de croissance d'arbres provenant de 16 450 peuplements de la forêt boréale du Québec, en fonction du climat observé au cours des 50 dernières années. Il en ressort qu'au nord du 49e parallèle - qui passe juste au nord de l'Abitibi-Témiscamingue et du Lac-Saint-Jean et, plus à l'est, traverse la péninsule gaspésienne -, l'épinette noire réagit positivement au réchauffement et à des précipitations réduites.

« L'effet favorable d'un climat plus chaud sur les taux de croissance et la longueur de la saison de croissance au nord du 49e parallèle surpassent les effets négatifs potentiels d'une réduction de l'eau disponible », peut-on lire dans l'étude. C'est d'ailleurs dans ce secteur, jusqu'à la limite nordique de la forêt commerciale, aux environs du 51e parallèle, que se fait la plus grande partie de l'exploitation forestière de l'épinette.

Inversement, au sud du 49e, la croissance des arbres devrait être touchée négativement par les conditions plus chaudes et sèches qui s'annoncent.

L'étude ne tient pas compte de certaines variables qui pourraient avoir un impact sur la croissance des épinettes, comme les épidémies d'insectes, qui tendent à monter vers le nord, et l'augmentation du nombre et de l'intensité des incendies de forêt, déjà observable dans l'Ouest canadien et dont celui de Fort McMurray est le plus récent et spectaculaire exemple. « Mais hormis le risque de grandes perturbations de ce genre, la forêt boréale du nord-est de l'Amérique du Nord pourrait devenir un refuge pour la forêt boréale », conclut l'étude.

Gagnants et perdants

« Le message est clair, il va y avoir des gagnants et des perdants en ce qui concerne les changements climatiques », dit Christian Messier, professeur de sciences naturelles à l'Université du Québec en Outaouais et titulaire de la chaire CRSNG/Hydro-Québec sur le contrôle de la croissance des arbres, à qui La Presse a demandé de commenter l'étude.

« Plusieurs études avaient trouvé ou suggéré de telles tendances, mais cette étude, en combinant un très grand nombre de données de croissance pour l'ensemble de la forêt boréale du Québec et les projections des changements climatiques prévues pour le Québec au cours des 50 prochaines années, vient appuyer de façon très convaincante ce que nous pensions être le cas. »

Ce genre d'étude est important, ajoute-t-il, « car il nous permet de mieux prévoir où nous devons intervenir maintenant sur le territoire québécois afin d'aider la forêt à s'adapter aux changements climatiques prévus. Nous pouvons agir dès maintenant en plantant ou favorisant, lors d'une intervention sylvicole, les espèces d'arbres les mieux adaptées aux conditions climatiques futures ».

- Avec la collaboration de Charles Côté, La Presse