Une mission scientifique de plusieurs millions de dollars visant à étudier les changements climatiques dans l'Arctique et à laquelle devaient participer 40 chercheurs canadiens a été annulée, hier. La cause : la Garde côtière canadienne a réquisitionné le brise-glace de recherche Amundsen pour mener des opérations de sauvetage et de déglaçage, grugeant le temps consacré à la science.

Au banc des accusés de cette malheureuse situation : les changements climatiques qui ont causé une situation exceptionnelle dans l'Arctique, mais aussi le fait que les autres brise-glaces de la vieillissante flotte canadienne étaient tous en entretien en ce moment.

« Il faut mieux se préparer, il faut planifier pour ces situations-là et voir comment on peut, avec la collaboration de la Garde côtière, s'assurer que l'Amundsen demeure disponible pour sa mission scientifique », a dit hier à La Presse Louis Fortier, directeur scientifique des programmes de science de l'Amundsen. Une entente prévoit pourtant que l'Amundsen, un brise-glace transformé à grands frais en plateforme scientifique flottante, doit être consacré à la science entre les mois de mai et octobre.

David G. Barber, professeur à l'Université du Manitoba et chef scientifique de l'expédition qui vient d'être annulée, refuse cependant de blâmer la Garde côtière pour ce qui se passe. « La situation dans le Nord actuellement n'est pas seulement un événement extrême : c'est quelque chose qu'on n'avait absolument pas prévu, et je ne blâme pas la Garde côtière de ne pas l'avoir vu venir », a-t-il dit à La Presse.

BATEAUX PRISONNIERS DE LA GLACE

Des embâcles se forment habituellement au printemps dans le détroit de Nares, entre le Groenland et l'île d'Ellesmere, empêchant la banquise de descendre vers le sud. Cette année, la glace trop mince et trop molle a empêché la formation des embâcles, si bien que d'énormes quantités de glace ont descendu vers le sud, s'accumulant notamment entre l'île de Terre-Neuve et le Labrador. Voyant cela, la Garde côtière n'a eu d'autre choix que d'envoyer l'Amundsen à la rescousse, son seul brise-glace de calibre suffisant alors en état de naviguer.

« Toute la flotte de pêche de Terre-Neuve tentait de quitter la côte pour aller en mer. Les bateaux étaient pris dans la glace ou coulaient, certains étaient en feu, raconte David Barber, qui était à bord de l'Amundsen lors des opérations de sauvetage. Les gens étaient secourus par hélicoptère, des navires chargés de carburant devaient être escortés pour ravitailler des communautés... C'était quelque chose à voir. Et si vous avez des vies en danger, ça a priorité sur la science. »

Devant ces opérations qui se sont prolongées, l'équipe scientifique de l'Amundsen a manqué de temps et annoncé à contrecoeur, hier, l'annulation de la mission. L'Amundsen devait se rendre dans la baie d'Hudson pour déterminer si certains bouleversements qu'on y observe sont attribuables aux changements climatiques ou à des projets hydroélectriques.

« La décision de mettre fin au programme en 2017 a des répercussions importantes sur les partenaires et le grand nombre d'étudiants impliqués », a affirmé l'équipe scientifique, hier, dans un communiqué. Cinq universités participaient au projet, dont l'Université Laval et l'Université du Québec à Rimouski.

MANQUE DE BRISE-GLACES ?

Tant le professeur Fortier que le professeur Barber ont souligné hier l'ironie de voir les effets des changements climatiques interrompre une mission consacrée à l'étude... des changements climatiques. Mais ils ont aussi averti que le Canada devra mieux planifier ses opérations pour que l'Amundsen ne soit plus la seule option en cas d'urgence.

« Le problème est que tous les autres brise-glaces lourds étaient en réparation, affirme David Barber. C'est une conséquence de l'âge de notre flotte, et il y a certainement des questions de gestion - est-ce que les réparations doivent toutes se faire en même temps ? Mais encore une fois, s'il y a quelqu'un à blâmer, ce sont les changements climatiques, pas la Garde côtière. »

Julie Gascon, commissaire adjointe pour les régions du Centre et de l'Arctique pour la Garde côtière canadienne, a expliqué à La Presse que les mois d'avril et de mai sont habituellement les plus calmes pour procéder à l'entretien et aux certifications des brise-glaces, d'où le problème rencontré cette année.

« Nous sommes parfaitement conscients de l'importance de la mission scientifique de l'Amundsen », a assuré Mme Gascon, qui n'a cependant pas pu promettre que les entretiens seront planifiés différemment l'an prochain.

« On va essayer de se préparer le mieux possible pour faire face à la musique l'an prochain, mais les changements climatiques sont un apprentissage de tous les jours », a-t-elle dit.

L'Amundsen devrait pouvoir mettre le cap vers le Nunavik le 6 juillet, comme prévu, pour le deuxième volet de la mission, qui vise notamment à étudier la santé des autochtones. Il est aussi possible que la mission annulée ce printemps puisse être reprise l'an prochain.

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L'AMUNDSEN EN BREF


• Inauguré en 2003

• 22 laboratoires scientifiques intégrés

• 223 000 milles marins parcourus, soit 10 fois le tour de la Terre

• 1500 chercheurs, techniciens, étudiants et journalistes de 20 pays accueillis à bord

LA FLOTTE DE BRISE-GLACES DE LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE

• Deux brise-glaces lourds

• Quatre brise-glaces moyens, dont l'Amundsen

• Neuf brise-glaces légers