Ils ont frappé à toutes les portes, écrit des dizaines de lettres, porté plainte au Protecteur du citoyen, à la Chambre des notaires, à la Sûreté du Québec et à tous les ministères concernés. Les résidants du lac Godon, dans la municipalité de Chertsey, à une centaine de kilomètres au nord de Montréal, combattent un projet immobilier qui, disent-ils, dénature leur lac.

«Depuis trois ans, on s'investit avec passion pour conserver notre petit coin de paradis», dit Huguette Naud-Caron, secrétaire de l'Association pour la protection du lac Godon.

Le groupe a vu toutes les portes se fermer devant lui. Mais il continue de ressentir un sentiment d'injustice devant un projet immobilier qui plantera une centaine de maisons près de leur petit lac.

Le promoteur, le notaire Fernand Théorêt, a acquis un terrain qui appartenait depuis 50 ans à une colonie de vacances pour enfants défavorisés.

Levée de la clause restrictive

Ce terrain de 73 acres avait été cédé pour 10$ par le gouvernement en 1956 à la Corporation des frères mineurs capucins. La cession était assortie d'une condition: si le terrain ne servait plus de «colonie de vacances», le terrain devait revenir à l'État.

La condition restrictive a été levée en 2009 au profit de Me Théorêt et ses associés par le ministère des Ressources naturelles, contre la somme de de 175 000$.

Aujourd'hui, sur ce même terrain, 44 lots sont à vendre de 45 000 à 175 000$.

Les résidants remettent en question les agissements du notaire Théorêt. En décembre 2005, il a écrit au ministère des Ressources naturelles pour demander la levée de la clause restrictive. Le même jour, les deux associés du notaire dans le projet immobilier sont devenus bénéficiaires d'une promesse de vente du terrain. La vente a été confirmée quelques mois plus tard à une société à numéro dont ils étaient tous trois actionnaires. Le prix: 235 000$.

«Je connaissais le Camp Saint-Vincent depuis cinq ou six ans, dit Me Théorêt en entrevue à La Presse. Je contribuais à son tournoi de golf. Ils m'ont appelé quand ils ont eu des difficultés à renouveler leur prêt, à cause de cette condition restrictive.»

«La décision de vendre a été prise à l'unanimité par le conseil d'administration du camp, affirme Me Théorêt. Ils étaient 12 ou 15 et il y avait des comptables, des ingénieurs. Ils ont tous trouvé que c'était la bonne solution. S'il n'y avait pas eu vente, le camp aurait fait faillite, c'est certain.»

Un projet immobilier

«Il y a eu une offre d'achat faite par mes deux associés, à la mi-décembre, poursuit-il. Ils ont acheté le terrain pour en faire un projet de villégiature pour familles ou groupes. Ça n'a pas fonctionné. Après un an et demi, ça a changé pour un projet immobilier.»

Il ajoute que le terrain «a été offert à la vente à deux autres camps pour le prix des dettes», soit 185 000$. «Ils ont dit non», dit Me Théorêt.

Les résidants ont porté plainte à la Chambre des notaires. Mais aucune enquête n'a été ordonnée, parce que «seules les parties à l'acte», soit le vendeur et l'acheteur, ont le droit de porter plainte en ces circonstances.

Me Théorêt reproche à ses voisins d'avoir multiplié les plaintes contre lui. «Il y a eu des plaintes à la SQ, à la Chambre des notaires, au ministère des Ressources naturelles, dit-il. Ces enquêtes ont coûté plusieurs milliers de dollars pour rien.»

Il ajoute que chaque vente de terrain est assortie à des obligations strictes du point de vue environnemental. «Notre capital, c'est le lac, dit-il. La propriété que je vais me bâtir va valoir 600 000$. Pensez-vous que je vais mettre le lac en péril?»

Les résidants ont épuisé tous leurs recours. Mais ils lancent un avertissement aux voisins des camps de vacances de toute la province, en particulier ceux gérés par des congrégations religieuses. Car le cas de Chertsey ne serait pas le seul. Le ministère de l'Éducation, des Sports et des Loisirs a maintenant l'oeil sur la situation.

«Un comité de veille devrait être mis en place pour préserver l'héritage patrimonial des camps de vacances, dit Esther Chouinard, relationniste au Ministère. On veut contribuer à ce que la vocation des sites demeure la même.»

Une suggestion de Huguette Naud-Caron