Déclaration habile que celle du ministre de la Santé, Philippe Couillard, au sujet du CHUM: «Mon principal lobby, c'est celui des patients et de la population.» Habile, mais démagogique. Choquante, par surcroît, pour tous ceux qui, pensant aux patients autant que M. Couillard et ses fonctionnaires, font la promotion d'un autre projet que le leur.

Dans l'entrevue qu'il a accordée à La Presse la semaine dernière, M. Couillard laisse entendre qu'il est l'objet de «pressions» de la part d'ombrageux lobbies, le mot «lobby» désignant ici exclusivement des gens du milieu des affaires. De quelles " pressions " parle le ministre? Pourquoi les représentations des gens d'affaires seraient-elles moins légitimes que celles des syndicats, des groupes «populaires», ou des soi-disant représentants de la population? M. Couillard accrédite la rumeur voulant que des gens d'affaires aient «menacé» de ne pas contribuer à la campagne de financement du CHUM si le site Saint-Luc est choisi, précisant cependant qu'il n'en a pas de connaissance directe, mais seulement par «les journaux»: «Si c'était le cas, ça m'apparaîtrait inapproprié.» Et pourquoi donc?

C'est M. Couillard qui a exigé des centres hospitaliers universitaires qu'ils aillent chercher au moins 200 millions en capitaux privés. S'attend-il à ce que les personnes sollicitées contribuent des millions à un projet auquel elles ne croient pas? Il n'appartient certes pas aux gens d'affaires de dicter au gouvernement sa conduite; mais l'inverse est aussi vrai: ce n'est pas à M. Couillard de décider où le secteur privé va mettre son argent. D'autant plus qu'ici, on parle de dons purs et simples.

Dans toute cette affaire de «lobbies», il en est un dont M. Couillard et les médias n'ont pratiquement pas fait état: les médecins. Plus de 400 médecins et chercheurs du CHUM ont fait part de leur appui à la construction du nouveau complexe hospitalier sur le site de la gare de triage d'Outremont. Ces gens-là oeuvrent tous les jours à St-Luc, à l'Hôtel-Dieu et à Notre-Dame; bref, ils connaissent parfaitement la problématique des hôpitaux à Montréal. Les soins, c'est eux; l'enseignement, c'est eux; la recherche, c'est encore eux; et ils n'auraient pas à coeur l'intérêt des patients? Il nous semble que leur avis devrait peser lourd.

Pourquoi parle-t-on si peu de l'opinion des médecins, de l'Ordre des infirmières, de l'Ordre des optométristes? Serait-ce parce qu'il est plus facile pour les fonctionnaires et pour la gauche de discréditer des gens d'affaires- «Qu'est-ce qu'ils connaissent là-dedans?»- que des professionnels de la santé?

La décision du ministre Couillard de rendre publics les rapports Johnson et Couture/St-Pierre seulement une fois que le choix du site aura été annoncé est également fort décevante. La controverse sur l'emplacement du CHUM est exacerbée depuis des mois par l'absence de données crédibles et indépendantes sur les coûts des différents projets, sur la sécurité des sites, sur les clientèles desservies, etc. En gardant pour lui toutes les données, M. Couillard monopolise des informations qui devraient être publiques. La publication post-facto n'a aucune valeur: une fois la décision annoncée, les études perdront toute pertinence.

Quant à nous, notre position reste la même. Contrairement à ce que plusieurs ont prétendu, La Presse ne fait pas la promotion échevelée du site Outremont. Nous estimons que le projet de synergie soumis par le recteur de l'Université de Montréal offre des avantages considérables. Beaucoup l'ont dit, dont le président du c.a. du CHUM et des porte-parole du Parti québécois.

Par conséquent, le gouvernement devrait choisir ce projet, à moins- et cette réserve est capitale- qu'il ne soit démontré qu'Outremont présente des inconvénients majeurs et incontournables au chapitre de la sécurité et des coûts. À ce sujet, les promoteurs du site Outremont n'ont pas répondu de façon convaincante- publiquement du moins- aux inquiétudes soulevées, notamment par l'enquête de nos journalistes André Noël et Pascale Breton. On verra si le recteur Lacroix y parvient aujourd'hui, lors de la conférence de presse qu'il a convoquée.

L'Université de Montréal a jusqu'ici fort mal défendu son projet, face à une opposition beaucoup plus habile. Cela est la preuve d'une stratégie médiatique déficiente, pas d'une faiblesse intrinsèque du projet.

Nous pressons à nouveau le gouvernement de publier sans tarder toutes les études dont il dispose sur le sujet, et de tenir de courtes audiences publiques sur le dossier, avant de prendre sa décision. Puisque M. Couillard se veut le défenseur des patients et de la population, on voit mal suivant quel raisonnement il pourrait refuser de leur fournir toute l'information pertinente et le droit d'exprimer leur point de vue.