Ma femme n’en peut plus. Moi, je dois avouer que je m’en fous un peu. On choisit ses combats, alors dehors le set de chambre en laqué blanc, seul témoin de la conception de nos trois enfants depuis… 30 ans. Marketplace saura sûrement me permettre de trouver une personne chanceuse qui poursuivra la tradition, armée de ce magnifique artéfact.

Olivier, c’est le gagnant. Je n’ai aucune idée de qui est Olivier, mais le prénom me semble jeune et promis à une grande descendance, ça lui prend donc le laqué blanc ! Seule consigne à Olivier à travers nos courts échanges par écrit : « C’est un très gros set de chambre, alors arrive avec un ou des amis et un pick-up ! » « Pas de problème, Monsieur Martin. » (Mon Dieu, il est poli…)

Alors que mon chat m’indique clairement qu’il refuse sa balade extérieure, signifiant d’un coup de derrière qu’il fait trop froid, le carillon de la porte avant retentit. J’ouvre ! C’est Olivier. Pas tout à fait l’image préconçue que j’avais de mon potentiel client. Olivier est togolais.

« Bonjour, Monsieur Martin », me dit-il avec un charmant sourire, son corps bien ancré dans des gougounes de plage blanches et protégé par un t-shirt et un coton ouaté ! Le facteur vent indique - 15.

Clément, son ami, vient le rejoindre tout aussi bien vêtu, sortant de son « pick-up » : une Toyota Tercel ! « Eeeeh…. les garçons [ils ont environ 30 ans, j’en ai 59, je peux me permettre], peut-être ne le savez-vous pas encore, mais c’est l’hiver ! » Et Clément de répondre : « Mais Monsieur Martin, l’hiver c’est froid, très froid. Est-ce toujours comme cela ? » Ah, mon vieux, si seulement tu savais !

Alors que je m’affaire à élargir une Toyota Tercel avec deux commodes et un immense chiffonnier dépassant de quatre pieds le coffre arrière, mes deux amis sont dans mon garage à se réchauffer tant bien que mal auprès de mon petit radiateur d’appoint. J’ai de la peine. Ils ont tout quitté : femmes et enfants. Ils n’ont rien. De plus, ils vont juger mon Québec à travers ce manque… de tout. Faute de mitaines, de tuques, de manteaux, de bottes et de foulards, ils se diront que le Québec est trop froid.

Ça ne se passera pas comme cela

Ils vivront reclus au fond d’un appartement en sous-sol, remplis d’espoir que ce fléau d’hiver prenne fin, et l’été venu, ils remettront en question leur décision d’immigrer sur un banc de neige. Eh bien non ! Ça ne se passera pas comme cela.

Facebook est prêt ! C’est parti. Un simple appel à toutes et à tous.

« Besoin de linge pour deux amis togolais. Mes amis ont sous-estimé le froid de notre hiver. Non, des gougounes de plage ne “flottent” pas sur la neige, non, un t-shirt additionné d’un coton ouaté ne sont pas suffisants à - 15. Oui, les mains nues l’hiver leur font dire : “Mais Monsieur Martin, je ne sens plus mes doigts…”, mais leur sourire éternel, leur gentillesse et leur désir de réussir feraient fondre le cœur du plus dur d’entre nous. Aidons-les ! »

Les aider, bien sûr que c’est un geste humaniste, mais c’est également une façon de leur faire apprécier notre beau pays ! Bien équipé, le Québec se vit autant à l’intérieur qu’à l’extérieur et ils y prendront goût (comment résister).

S’ils y prennent goût… eh ben, mon vieux… ils prendront racine ici et le Québec s’en portera mieux.

Olivier, mon ami, derrière ton œil d’une sclérotique plus blanche que la splendeur de ma neige d’hiver, je te souhaite de t’imprégner de belles images de mon pays que tu sauras partager avec ta femme et ta fille que tu réussiras à aller chercher dans ton pays d’origine. Je t’embrasse, mon ami, et te souhaite une belle route de vie.

Fin de l’histoire : des centaines de personnes m’ont contacté à la suite de ma publication. Des chandails, des mitaines, des tuques, des foulards, des bottes, des bas de laine, etc., ont été ramassés. Des sacs remplis de linge, mais surtout des sacs remplis d’amour, d’empathie et de compassion de centaines de Québécois, tout aussi extraordinaires les uns que les autres, qui nous rappellent qu’on peut vivre sur un banc de neige en attendant l’été, grâce à la chaleur de vêtements, mais aussi grâce à la chaleur humaine ! Merci à vous toutes et à vous tous !

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