Qui sont les étudiants de 2018 en cinéma à l'Université Concordia? À quoi carburent-ils, à quoi aspirent-ils? À la demande de Chloé Robichaud, nous avons réuni quatre apprentis cinéastes. Si une chose les unit, c'est leur passion et une vision positive de leur avenir professionnel.

Éveline Auger, 22 ans

Éveline Auger le dit en riant. «Je viens des régions.» Elle vient de La Pocatière, dans le Bas-du-Fleuve. 

«Je fais du montage depuis que j'ai, genre, 10 ans, souligne-t-elle. J'aime être dans ma petite bulle.»

Au cégep Garneau, à Québec, un cours de cinéma québécois l'a allumée. Notamment quand elle a vu Les ordres de Michel Brault. Elle affectionnait aussi les films de James Dean et d'Audrey Hepburn.

Son but: être admise dans le programme de cinéma de l'Université Concordia, par où sont passés les Érik Canuel, Podz et André Turpin.

Éveline Auger pouvait compter sur une lettre de recommandation de son professeur André Caron, à qui l'on doit le livre Frankenstein lui a échappé.

«Je suis en troisième année, et cela commence rough. Je manque déjà de sommeil», lance trois années plus tard la jeune femme de 22 ans.

Étudier en cinéma peut paraître divertissant. Or, c'est énormément de travail et de nuits blanches. Comme sur les plateaux de tournage, quoi.

La production, l'écriture, c'est ce qui intéresse Éveline Auger. Et toujours et encore son premier amour, le montage. 

«Avec le montage, tu peux créer un autre film que celui qui a été tourné.» 

Éveline Auger admire par ailleurs Stéphane Lafleur - un as du montage - et elle ne se lasse pas de revoir son film Tu dors Nicole. «J'aime les films contemplatifs. J'ai aussi beaucoup aimé Charlotte a du fun

L'apprentie cinéaste ne cherche donc pas à être réalisatrice à tout prix, comme bon nombre de ses camarades de classe. Son bac ? Elle en parle avec les yeux brillants. «On a accès à de l'équipement et on rencontre les gens avec qui on va travailler plus tard. Et il y a les profs qui ont beaucoup d'expérience.»

Elle cite les professeurs en scénarisation Guylaine Dionne et en production Michael Yaroshevsky, qui invite à chaque cours des gens influents du milieu, que ce soit de la SODEC ou de Téléfilm Canada. «On apprend à faire des demandes de subventions.»

Et l'après-Concordia? «Cela me fait peur, mais je suis ouverte à tout.»

Fonder une maison de production avec ses amis? Pourquoi pas.

«Et il y a tellement de Québécois qui ont du succès présentement à l'international», ajoute-t-elle, précisant que la fille de Denis Villeneuve et le fils de Jean-Marc Vallée étudient à Concordia en cinéma.

Raphaël Massicotte, 23 ans

Raphaël Massicotte a obtenu son diplôme le printemps dernier. «Au secondaire, je voulais être acteur, raconte-t-il. Mais j'ai vite su que je ne voulais pas "brander" qui j'étais, mais plutôt mettre de l'avant mes idées.»

Voulant travailler derrière la caméra, le jeune Montréalais a terminé une technique en postproduction - avec une spécialité en effets spéciaux - au cégep de Jonquière dans le renommé programme Art et technologie des médias (ATM).

En poursuivant ses études à Concordia, il avait des attentes sur le plan des ressources, de l'encadrement technique et de l'établissement de contacts. «Je savais qu'il y avait une caméra Alexa et je voulais tourner avec ça.»

«Je n'étais plus dans la recherche d'être différent. Avec du recul, je pense que tout passe plus par l'authenticité.»

Raphaël Massicotte veut être réalisateur. Il l'est même déjà. «On the side, je travaille en porn, indique-t-il. Cela a clarifié ma vision de faire des films. La porn faisait déjà partie de mes thèmes. L'homosexualité aussi... Et je travaille déjà beaucoup avec la nudité.»

Le dernier film qu'il a fait dans le cadre de ses études, L'appétit des garçons, distribué par la boîte de distribution Travelling, sera présenté au Festival du nouveau cinéma (FNC) en octobre.

«En ce moment, je rencontre des producteurs, je suis en écriture d'une websérie et d'un court métrage... Je vise la diversification des plateformes.»

Ferait-il de la commande? Oui. «De la porn, c'est de la commande. C'est comme du corpo... mais tout nu!», lance-t-il.

Raphaël Massicotte aime par ailleurs le côté «entrepreneur» du cinéma. «J'aime marketer une idée.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Raphaël Massicotte

Aziz Zoromba, 23 ans

Enfant, Aziz Zoromba voulait être acteur. «À la fin du secondaire, j'ai découvert que j'aimais être derrière la caméra. Je tournais des petites vidéos avec mes amis avec la caméra numérique de mes parents.»

«J'ai grandi avec le cinéma égyptien. J'ai développé une passion pour le cinéma étranger. Le cinéma perse, latino...», énumère-t-il, citant le nom du réalisateur iranien Asghar Farhadi.

Il compte par ailleurs voir sous peu son dernier film, Everybody Knows, présenté en ouverture du dernier Festival de Cannes.

Le Montréalais parfaitement bilingue a étudié au cégep Vanier en communications, où il a peaufiné sa maîtrise de la caméra. «J'ai développé mon sens artistique et j'ai constaté que je pouvais écrire des scénarios.»

Il ne lui reste qu'une année pour achever son baccalauréat à Concordia. Il a fini ses cours de cinéma, mais il doit terminer ceux à option.

Aziz Zoromba en a passé, des nuits blanches, à tourner, réaliser et monter ses films. Étudier en cinéma peut paraître «relax», souligne-t-il, mais c'est énormément de travail et d'investissement.

Il fait partie des étudiants sélectionnés qui ont pu réaliser leur film en première et deuxième années. Ses deux films comportent des personnages d'origine arabe. Or, le cinéma québécois, ainsi que le programme de cinéma de Concordia, est très blanc et francophone.

«J'avais peur d'être vu comme le gars qui fait des films avec des personnages arabes. Mais non. Si ce n'est pas moi qui le fais, qui va le faire?»

Est-ce que le visage du cinéma va changer? «Il faut plus de réalisateurs d'autres cultures», plaide-t-il.

Il a adoré le film Incendies de Denis Villeneuve, par exemple. Mais pourquoi avoir choisi deux acteurs québécois pour incarner des Libanais?

«Je travaille avec une actrice que j'adore qui s'appelle Natalie Tannous. Elle est d'origine égyptienne et libanaise», souligne-t-il. Elle est notamment en vedette de son court métrage Leila, qui a été parmi les 10 courts métrages étudiants sélectionnés au dernier Festival de films de Toronto. «En audition, on lui demande souvent de faire un accent, alors qu'elle n'en a pas.»

Le deuxième court métrage d'Aziz Zoromba, intitulé Amal, est le film qui représentera Concordia au Festival du nouveau cinéma (FNC) en octobre.

Rien de moins.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Aziz Zoromba

Simon Gionet, 23 ans

Intéressé par le dessin et le théâtre, Simon Gionet a fait des études en littérature au Cégep de Sainte-Foy, à Québec. «J'ai compris que l'écriture m'intéressait, mais pas le fait d'écrire seul chez soi. Je me suis vite inscrit dans un comité qui faisait des vidéos. Émotionnellement, le cinéma est la forme d'art qui allait le plus me chercher. Que ce soit dans les larmes ou dans la colère», se souvient-il.

Accepté à Concordia en cinéma, Simon Gionet voulait d'abord et avant tout se former techniquement et mieux connaître les rouages d'un tournage. 

Il fallait vraiment être déterminé à faire du cinéma. «Il y a une forte cohésion dans la cohorte d'étudiants. Ceux qui ne sont pas passionnés partent généralement à la deuxième année.»

Une saine compétition existe entre les étudiants. Seulement six personnes par classe peuvent réaliser leur film. Or, les autres doivent ensuite postuler pour les autres tâches (caméra, direction photo, etc.), donc il faut savoir bien travailler en équipe.

«Au début du bac, les professeurs nous disent: "Votre réputation est tout ce que vous avez", et on se rend compte rapidement que c'est vrai.»

Être en retard sur un plateau de cinéma? Inadmissible.

On y apprend aussi à être patient et persévérant. «Les finissants de Concordia il y a sept ou huit ans commencent à avoir des subventions de longs métrages», souligne Simon Gionet, citant les noms des réalisateurs Jeanne Leblanc (Isla Blanca), Sophie Dupuis (Chien de garde) et Pascal Plante (Les faux tatouages).

Deux jours avant notre rencontre, Simon Gionet avait tourné un court métrage de nuit (intitulé Cayenne) avec Marianne Fortier et Jean-Sébastien Courchesne. «Je m'en remets encore, souligne-t-il. Je vais commencer le montage et j'espère que ce sera prêt vers la fin de novembre pour l'envoyer à des festivals.»

Il a récemment réalisé un clip pour la chanteuse jazz Carolyn Fe. Avec son camarade de classe François Herquel, il est en train de fonder une maison de production, Littoral. Il a aussi des demandes de subventions en cours. «Je prends tout ce qui passe.»

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Simon Gionet