Dans Borderline, Angèle Coutu incarne une grand-mère que la vie n'a pas épargnée. Ce rôle dur s'est toutefois accompagné d'un immense bonheur pendant le tournage. Les contrats se faisant désormais rares, la comédienne vit intensément chaque minute passée sur les plateaux de télé et de cinéma.

Son père, l'acteur Jean Coutu, l'a un jour mise en garde: rien n'est acquis dans ce métier. Angèle Coutu avait la mi-trentaine. Sa renommée, grâce au téléroman Jamais deux sans toi, n'était plus à faire. «Papa était peu loquace sur son métier. Il avait toutefois peur que je souffre dans le mien, raconte la célèbre interprète de Francine Duval. Il m'a un jour dit que je ne pourrais jamais m'asseoir sur le fait que j'avais un joli petit minois. De faire attention, car vieillir était dévastateur pour les femmes.»

Faut-il toujours croire ses parents quand ils se font protecteurs? Toujours est-il qu'Angèle Coutu, qui a un C.V. bien garni, a rarement été vue, ces dernières années, aux grand et petit écrans. L'an dernier, il y a eu une apparition remarquée dans Le négociateur à la télé, en mère désespérée de l'enquêteur Sly. Et, présentement, une performance dans Borderline de Lyne Charlebois. Autrement...

Pourtant, ses prestations bouleversent. Assez pour qu'elle obtienne un prix d'interprétation, au gala des prix Gémeaux de septembre dernier. Mais, ce soir-là, c'est un autre comédien qui a récupéré le trophée en son nom... Pas d'Angèle Coutu dans la salle. «Je n'ai pas d'auto, pas de câble, raconte-t-elle. Pour aller au gala des prix Gémeaux, il faut payer le billet de la personne qui nous accompagne et s'acheter une tenue. Et je m'étais engagée à garder la maison de gens riches pendant un mois. Je dois la gagner ma vie!»

En entrevue, la comédienne de 62 ans «pas remontée» ne joue pas les femmes pudiques. Elle est fière, mais porte néanmoins le poids des années passées. La réalité professionnelle l'accable. «À mon âge, on ne travaille pas! lance-t-elle. Il n'y a pas de rôles pour les femmes de 40 ans et plus. Selon des statistiques de l'Union des artistes, à partir de cet âge, les comédiennes ont 42% de chances de se trouver du travail. Cinq ans plus tard, le pourcentage baisse à 40%. J'ai l'impression que les scénaristes ont la trouille. Ils ont du mal à imaginer leur grand-mère autrement qu'en mémère à sacoche. Et un producteur m'a déjà lancé: «"Qu'est-ce que tu veux qu'on te fasse jouer? Les d'Artagnan"» Papa avait raison...

Demandez à Angèle Coutu ce qui l'a attirée dans le projet de premier long métrage de Lyne Charlebois, dans lequel elle incarne une vieille dame vivant seule dans un appartement qu'elle partage avec une colonie de coquerelles. «Du travail? Le rôle de Mémé dans Borderline, c'est mon cadeau de Noël.»

Angèle Coutu a failli ne jamais croiser Lyne Charlebois. Lasse de toutes les auditions sans suite des dernières années, la comédienne avait dans l'idée de passer son tour. «Mon agente savait que j'étais tannée d'auditionner en vain, raconte-t-elle. Tu as beau avoir confiance... Elle m'a alors laissé plusieurs messages sur mon répondeur: "Tu vas à l'audition! C'est pour toi!"»

S'en sont suivis une douzaine de jours de tournage merveilleux, l'hiver dernier, selon Angèle Coutu. À preuve, ce cahier rempli de petits mots charmants des comédiens (Isabelle Blais, Pierre-Luc Brillant...) et membres de l'équipe technique qu'elle traîne avec elle en entrevue. Un cahier dans lequel on trouve également des vers de sa main, des notes de voyage, des photos...

Comme la mère brisée qu'elle incarne dans Le négociateur, sa Mémé séduira peut-être le jury des Jutra, le gala du cinéma, l'an prochain. Et si désormais un beau rôle en cachait inévitablement un autre? «Pendant longtemps, je me suis dit que si rien ne débloquait côté jeu, j'accrocherais mes patins en 2007. Je vendrais mon condo. Je partirais voyager et faire de la plongée sous-marine. Mais la vie, c'est une maudite. Des fois, elle nous fait rager, sacrer. Elle se joue de nous, mais elle nous surprend toujours.»