Le documentariste montréalais Brett Gaylor a entrepris de brasser la cage à la propriété intellectuelle, du moins telle qu’on la connaît aujourd’hui dans le monde de la musique. R.I.P. A Remix Manifesto, un film documentaire incisif et provocateur, se veut la plaidoirie d’une nouvelle génération de créateurs pour une adaptation du droit d’auteur à l’environnement numérique.

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Originaire de Colombie Britannique, Brett Gaylor s’est établi à Montréal il y a une dizaine d’années alors qu’il entreprenait des études de cinéma à l’université Concordia. Il était au milieu de la vingtaine lorsqu’il a amorcé la réalisation de ce film. Il a maintenant 31 ans et le fort sentiment de représenter un mouvement de pensée sur la façon dont on peut créer dans un environnement numérique.

«On ne réalise peut-être pas à quel point la culture du remixage est devenue importante. Pour qui l’interaction se limite à la commande à distance, cela peut sembler très abstrait. Or, pour plein de gens de ma génération, ça ne l’est pas. Je ne suis plus un jeunot, pourtant ! Je suis le père d’une petite fille, mais ma naissance coïncide avec l’arrivée des ordinateurs personnels. Et quand on a grandi avec un ordinateur, l’idée qu’on se fait d’un média est différente. Aux créations qui nous sont suggérées sur le Net, on participe, on interagit.»

Selon le cinéaste, cette interaction implique de nouvelles façons de s’approprier les contenus de création : d’où la prolifération des «mashups» conçus entre autres à partir d’autres oeuvres déjà existantes… et protégées par le droit d’auteur. « Ce que je veux dire avec ce film, dit Gaylor, c’est qu’il y a des enjeux de liberté de parole, enjeux d’expression de notre culture, enjeux desquels s’éloigne l’actuel droit d’auteur.»

En 85 minutes, RIP A Remix Manifesto met en scène différents acteurs de cette mouvance de créateurs, juristes et hommes publics en faveur d’une réforme en profondeur du droit d’auteur qui permettrait le libre accès aux oeuvres et à leur utilisation pour la création d’autres oeuvres, à condition bien sûr qu’elles n’en plagient pas les idées originales.

Le film est construit autour d’un exemple bien vivant : le DJ américain Girl Talk, ingénieur biomédical de profession et créateur dont la carrière a pris un véritable envol. Pour créer sa musique qu’il balance sur les planchers de danse, il reprend des fragments de musiques existantes et les transforme au moyen de différents filtres informatiques. À tel point que ces fragments deviennent peu identifiables au sein d’une nouvelle pièce qui n’a plus rien à voir avec ses matériaux d’origine.   

Or, les dispositions actuelles des lois sur le droit d’auteur maintiennent dans l’illégalité ce qui est devenu inévitable au plan technologique. Pour le DJ Girl Talk comme pour le cinéaste qui s’intéresse à sa pratique, il devrait être permis de créer à partir de ce qui circule dans l’environnement numérique. Pour cette nouvelle génération de créateurs, les technologies numériques induisent cette pratique du remixage et du mashup.

Dans cette optique, Brett Gaylor oppose le concept de copyleft à celui de copyright. Pour appuyer son propos, il met en scène des personnes ressources engagées dans la création numérique, dont l’auteur de science-fiction et activiste canadien Cory Doctorow, le juriste américain Lawrence Lessig et Gilberto Gil, chanteur de renom et ex-ministre brésilien de la culture.

«Cory, soulève le cinéase, vend ses livres. Mais il ne croit pas que la circulation libre d’une version numérique de ses livres sur l’internet soit une mauvaise chose. Moi  non plus. Je me méfie davantage de l’obscurantisme que du piratage. Vous savez, je suis un cinéaste indépendant, je veux que mon film soit le mieux connu possible. Bien sûr, j’ai espoir que ça puisse se traduire en revenu.» 

On comprendra que Brett Gaylor croit au droit d’auteur, mais sous une autre forme. D’où les interventions du créateur de Creative Commons, un modèle de droit adapté à l’environnement numérique.

«Si l’on regarde de près les propositions de Lawrence Lessig, il n’est pas question d’abolir le droit d’auteur, mais bien de trouver une troisième voie entre le copyleft et le copyright. Une voie que semble prendre le Brésil, par exemple. Ainsi, on peut autoriser la copie et le remix d’un contenu tout en exigeant des redevances sur sa diffusion à la télévision conventionnelle. Sur le Net, toutefois, il est préférable d’encourager quiconque à diffuser la création sans entraves. Je crois en ce sens à la licence globale, un montant mensuel déboursé par les internautes et ensuite redistribué aux créateurs.» 

Brett Gaylor demeure optimiste pour l’avenir, quoiqu’inquiet à court terme : «Les embryons de nouveaux modèles d’affaires sont là mais ils rencontrent beaucoup de résistance de la part des modèles existants. Normal. Je ne crois pas que les défenseurs de ces modèles existants soient malfaisants mais… leurs idées ne doivent pas dominer les réformes à venir sur le droit d’auteur.»

D’aucuns reprocheront au film de Brett Gaylor de proposer peu de solutions viables à long terme.  «Ce n’est pas à moi d’en proposer, rétorque-t-il. Ma préoccupation est de cheminer vers ces nouvelles pratiques sans poursuites judiciaires, sans répression. Ce que je dis en substance, c’est qu’il ne faut pas mettre l’avenir en faillite afin de préserver ce que le passé tente de nous imposer.»

Et pourquoi si peu de tournage au Canada ?

«Nous, Canadiens, ne sommes pas des exportateurs de culture, nous sommes surtout des importateurs comme la majorité des pays. J’ai constaté que les lois sur le copyright favorisent surtout les exportateurs de culture et non les importateurs. L’agenda des USA en la matière est imposé au monde entier.»

De quoi êtes-vous le plus fier, Brett Gaylor ?

«Ce film n’est pas qu’une démonstration intellectuelle, c’est aussi un film d’émotion. On peut discuter très longtemps de ces enjeux, mais je suis fier d’avoir pris une position morale et émotive qui éveille déjà une résonance au sein des auditoires. »

«Si je suis un romantique de l’internet ?  Bien sûr !»
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R.I.P. A Remix Manifesto est actuellement à l’affiche du Cinéma du Parc en version originale  avec sous-titres français ainsi que de l’AMC Forum en version originale.