Chez les Beaulieu, au 5150, rue des Ormes, demandez le père, Jacques. Chauffeur de taxi le jour, psychopathe la nuit, Jacques est obsédé par la justice. Sa femme, Maude, trouve refuge dans les bondieuseries. Demandez la fille, Michelle, apprentie tueuse, ou sa petite soeur, Anne, personnage mutique et presque fantomatique.

Premier roman de Patrick Senécal, 5150, rue des Ormes s'attaque au quotidien en apparence normal d'une famille bien de chez nous, les Beaulieu. Bien sûr, on est chez Senécal et la normalité n'est qu'une apparence. «L'idée du roman, c'est de montrer une famille normale, mais dès que l'on creuse, il y a des bibittes en-dessous», dit l'auteur.

«C'est vraiment l'enfer ordinaire, renchérit le réalisateur Éric Tessier, qui avait amené en 2003 Sur le seuil, de Senécal, sur les écrans de la province. «C'est la richesse de l'histoire: tu racontes l'histoire d'une famille, qui paraît normale, et qui aurait sans doute fonctionné comme ça longtemps», souligne-t-il.

L'élément perturbateur, c'est l'arrivée impromptue de Yannick Bérubé, jeune homme peu sûr de lui qui tombe à vélo devant la maison des Beaulieu. Il entre, sans être invité, dans cette maison banale. Et perçoit, du premier étage, des cris à peine étouffés. Yannick monte les escaliers. Il ne devrait pas. Surpris par le père de la famille, Yannick est enfermé à son tour.

Dans 5150, rue des Ormes, la tension se passe de violence extraordinaire. Dans la peau de Yannick, Marc-André Grondin opine: «Ce n'est pas Massacre à la tronçonneuse. Il y a des éléments d'horreur, mais c'est plus psychologique, ce n'est pas masturbatoire: il y a un motif derrière ces meurtres.»

Le bien et le mal

Sur fond de combat entre le bien et le mal, Jacques Beaulieu se voit en effet comme le juste parmi les non-justes: il veut régler leur compte à de sinistres individus dont les crimes sont tous liés à des enfants.

«J'ai toujours de la misère avec les gens convaincus qu'ils ont raison: je voulais montrer ça à travers une famille», dit Senécal.

Les crimes commis contre des enfants représentent, chez Senécal, la pire chose que l'on puisse faire au monde. Ce thème revient aussi dans Les 7 jours du talion, que Podz a réalisé et que l'on pourra voir l'an prochain. «J'ai l'impression que la pire chose que tu puisses faire c'est ça: c'est vraiment un tabou personnel, c'est culturel», poursuit l'auteur.

Horreur et humour

Entre Jacques Beaulieu (Normand d'Amour) et le jeune Bérubé, l'affrontement commence. D'abord effrayé, Yannick essaie de s'enfuir, puis tente de soudoyer Maude (Sonia Vachon). Peu à peu, une relation se noue avec Jacques. «C'est très déroutant: il faut que le spectateur ne sache pas sur quel pied danser. Il faut qu'on ait pour Beaulieu des sentiments ambivalents», explique Patrick Senécal.

Dans la noirceur, le film s'amuse parfois à donner des drôles de scènes aux personnages. «On en voulait de l'humour: l'humour vient du décalage (entre la banalité et l'horreur), cela fait rire, c'est normal, dit Éric Tessier. Mais je ne pense pas que ce soit une grande comédie.»

Patrick Senécal s'amuse, lui, des retournements multiples d'un scénario qui ne ménage pas toujours l'équilibre mental de ses spectateurs comme de ses lecteurs.

«En fait, je veux manipuler mon lecteur. Chaque fois que j'écris, je veux toujours être en contrôle. Je ne suis pas gentil avec les lecteurs, mais je suis conscient que je veux les manipuler. Je ne fais pas de schéma: c'est plus instinctif. Il y a une chute dans tous mes romans. Et il y a quelque chose de malsain, pour le spectateur, à suivre cette chute. Je m'amuse bien gros avec ça», dit-il.

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