Avec Alain Resnais, on ne connaît jamais tout à fait la chanson. Dans son nouveau film Les herbes folles, à l'affiche ce vendredi, ce réalisateur toujours vert aux 87 printemps entraîne le spectateur sur des chemins de traverse, là où il ne s'attendait pas forcément à aller.

C'est une histoire de destins, de trajectoires, de vies qui se croisent un jour, comme souvent. Une histoire dont le hasard donne le coup d'envoi, l'air de rien, comme toujours. Comme on donne tout doucement le premier coup de pied dans le ballon, mais ensuite nul ne sait comment finira le match.

Marguerite Muir (Sabine Azéma), chirurgienne-dentiste, n'avait pas prévu qu'en sortant d'un magasin de chaussures, elle se ferait voler son sac. Elle n'avait pas prévu que le voleur en jetterait le contenu dans un stationnement. Et quand Georges Palet (André Dussollier) a retrouvé le sac avec le portefeuille et les papiers d'identité, il ignorait les événements qui allaient suivre.

Pourtant c'est bien lui, homme courtois mais parfois bizarre, qui a voulu revoir la jeune femme. Par l'intermédiaire du commissariat, à qui il a remis le sac trouvé, il obtient son numéro de téléphone et l'appelle. Il est surpris qu'elle ne le remercie pas plus chaleureusement. Intrigué et vexé à la fois, il cherche à faire sa connaissance, et y parvient finalement.

La jeune femme est d'abord méfiante et réticente, mais bientôt des relations régulières vont se tisser entre eux deux. Relations sages ou ambiguës, on ne sait trop. Tout cela sous le regard amusé de la femme de Georges, Suzanne (Anne Consigny), pas inquiète. Mais qui s'inquiète de quoi sera fait l'avenir, dans cette histoire?

Les herbes folles, tiré d'un roman de Christian Gailly intitulé L'incident, oscille entre histoire à suspense et comédie humoristique. Le réalisateur s'est amusé à décrire des personnages qui, explique-t-il, «sont incapables de résister à l'envie d'accomplir des actions irrationnelles, qui déploient une vitalité incroyable dans ce que l'on peut considérer comme une course à l'erreur».

Mais ce qui fait l'originalité du film est son rythme, ses digressions, ses touches surréalistes, ses dialogues parfois insolites. C'est cette «petite musique» qu'a voulu retranscrire à l'écran Alain Resnais et qui l'avait séduit dans l'oeuvre de l'écrivain: «l'écriture de Gailly est si musicale que je me suis aperçu que, si je parlais à quelqu'un après avoir terminé un de ses livres, je me mettais à m'exprimer comme ses personnages. Ses dialogues sont comme des solos ou des numéros de duettistes qui n'attendent que des comédiens pour les dire».

Les comédiens en question, on les connaît bien, les deux principaux ont leur carte de membre permanent des films de Resnais, Sabine Azéma et André Dussollier. Ils sont entourés, dans des rôles plus discrets mais avec des apparitions chaque fois savoureuses, d'Anne Consigny, Emmanuelle Devos, Mathieu Amalric, Michel Vuillermoz, Annie Cordy, Sara Forestier, Nicolas Duvauchelle, Roger-Pierre.

À Cannes, en 2009, Les herbes folles a obtenu le «Prix exceptionnel du jury», une récompense créée spécialement pour l'occasion et davantage destinée, semble-t-il, à honorer le cinéaste pour l'ensemble de son oeuvre que ce film en particulier. Car s'il est agréable à regarder malgré son scénario déroutant, il n'est certes pas à ranger parmi les chefs d'oeuvre d'Alain Resnais comme Hiroshima mon amour, Providence, Mon oncle d'Amérique, L'amour à mort ou Smoking/No Smoking.

Il n'empêche que le doyen du cinéma français montre une capacité intacte à surprendre son monde, imprévisible comme les herbes folles qui donnent leur nom au film et auxquelles il compare les protagonistes de l'histoire, «des personnages qui suivent des pulsions totalement déraisonnables, comme ces graines qui profitent d'une fente dans l'asphalte en ville ou dans un mur de pierre à la campagne pour pousser là où on ne les attend pas».