Francis Veber n'a strictement rien à voir avec l'adaptation américaine de son Dîner de cons, mais il ne reste pas indifférent pour autant.

Le projet d'une adaptation américaine de son fameux Dîner de cons aura finalement mis une bonne dizaine d'années à se concrétiser. Francis Veber, qui fait souvent la navette entre Paris et Los Angeles, connaît bien le mode de fonctionnement hollywoodien, ayant lui-même agi un temps à titre de consultant pour la firme Disney.

Même si la plupart de ses scénarios ont été rachetés par les Américains (le dernier étant celui de La doublure), l'auteur cinéaste français sait bien que le processus est long. Et qu'il n'aboutit pas obligatoirement sur un film.

«Tant qu'un metteur en scène ou des acteurs n'ont pas été embauchés, il n'y a rien de concret, a-t-il expliqué cette semaine au cours d'un entretien téléphonique. Dans le cas du Dîner de cons, ce fut très long car ce projet comportait des difficultés d'adaptation particulières. Je n'ai été engagé d'aucune manière dans le processus.»

Dinner for Schmucks est réalisé par Jay Roach. Les rôles créés à l'écran par Thierry Lhermitte et Jacques Villeret sont maintenant tenus par Paul Rudd et Steve Carell.

Aux yeux de l'auteur français, l'Amérique et l'Europe constituent deux planètes totalement différentes. Transposer l'esprit très parisien de sa pièce (et du célèbre film qu'il en a tiré) dans une comédie à l'américaine relevait, selon lui, de l'exercice de haute voltige.

«D'une part, la notion de contrôle fiscal n'existe pas en Amérique, observe-t-il. En France, vous devenez tout de suite suspect aux yeux du fisc si vous possédez des objets d'art ou de beaux tableaux. Aux États-Unis, on vous félicite et on ne pose pas de questions!»

Les valeurs morales et sociales n'étant pas du tout les mêmes non plus, les scénaristes David Guion et Michael Handelman ont dû manoeuvrer afin de contourner certains éléments plus délicats du récit original.

«Dans l'esprit des Américains, il est pratiquement impensable de faire de l'adultère un sujet de comédie, fait remarquer Francis Veber. Alors que, chez nous, l'amant en caleçon caché dans le placard fait partie du folklore, on ne peut badiner avec ce genre de choses aux États-Unis.

«Aussi, la méchanceté du personnage qu'incarnait Thierry Lhermitte, qui se réjouissait à l'idée d'emmener au prochain dîner le «con» qui lui était tombé dans les pattes, ne pouvait pas être importée. En Amérique, ça ne passe pas. D'où l'aspect plus lisse, plus inoffensif du personnage qu'interprète Paul Rudd. Qui doit assister à ce dîner afin de se faire valoir auprès de son patron.»

Veber salue le flair du réalisateur Jay Roach. Qui n'a pas cédé à l'idée de la copie conforme.

«Jay a aussi eu l'intelligence de se servir de la trame de base pour faire un film très différent du mien. À partir du moment où l'enfant a été placé en adoption, il n'est plus question que le père étranger vienne mettre son grain de sel. Je le comprends tout à fait. Quand j'ai vu Dinner for Schmucks, je n'ai pas tellement reconnu mon bébé, mais ce n'est pas grave. C'est mieux ainsi.»

Les différences culturelles sont telles à ses yeux qu'il n'y a pratiquement plus aucun point de comparaison.

«De toute façon, ce serait une erreur de comparer les deux films, soutient Francis Veber. De la même manière qu'il faut apprécier les vins français et californiens chacun de leur côté pour ce qu'ils sont, il faut voir Dinner for Schmucks en gardant à l'esprit qu'il s'agit d'une comédie américaine. C'est très différent. On a toujours tendance à croire, surtout de nos jours, qu'on ressemble aux Américains. Il est vrai qu'on porte leurs jeans, on consomme leurs produits, on écoute leur musique et on voit leurs films. Mais en vérité, il n'en est rien.

Garder son identité

«Quand j'ai réalisé moi-même le remake américain des Fugitifs, poursuit-il, je suis resté profondément français, même si toute l'équipe était américaine. À l'époque, j'ai pensé que Three Fugitives me donnait l'occasion de corriger les erreurs que j'avais faites dans l'original. Or, un film est aussi la somme de ses imperfections. C'est ce qui lui donne sa touche humaine. Il est impératif de garder son identité propre. Essayer de faire sa marque à l'international en essayant de copier ce que font les Américains ne présente aucun intérêt.»

Francis Veber séjourne présentement à Los Angeles afin d'écrire une nouvelle pièce. Selon son habitude, l'auteur pourrait ensuite fort bien l'adapter pour le cinéma.

«Je viens ici quand j'écris car il y a pour moi moins de distractions qu'à Paris. J'aime me lancer dans l'écriture d'une pièce. C'est plus artisanal. Et puis, on se doit de reconnaître qu'il est plus difficile de s'imposer au cinéma maintenant. On subit la lame de fond du cinéma américain et l'auditoire des complexes multisalles rajeunit de plus en plus.»