Au moment de la sortie de Raiders of the Lost Ark (Les aventuriers de l'arche perdue), Steven Spielberg fut intrigué par les références à un personnage nommé Tintin, récurrentes dans certaines critiques publiées en Europe, et les comparaisons avec Indiana Jones. Même si les aventures du journaliste du Petit Vingtième avaient conquis le monde depuis plusieurs décennies, le cinéaste était dans la même position que la plupart de ses compatriotes: il en ignorait l'existence. Aux États-Unis, les personnages de Hergé ne sont connus que des admirateurs de bandes dessinées étrangères. Autant dire pas grand monde.

«Quand j'ai enfin pu lire quelques-uns des albums, j'ai été subjugué, a expliqué Steven Spielberg au cours d'une rencontre de presse tenue récemment à Paris. J'ai tout de suite imaginé une adaptation au cinéma, mais il aura fallu attendre la venue d'une technologie qui n'existait pas encore. Nous avions bien essayé de lancer un projet dans les années 80, mais nous n'étions alors pas en mesure de rendre justice à l'univers de Tintin sur le plan technique. Du moins, pas dans un décor réaliste. J'ai été convaincu qu'il était temps d'y revenir quand Peter Jackson m'a montré les formidables possibilités de la technique de capture du mouvement.»

La technique d'animation de capture du mouvement, qui consiste à transformer les mouvements de vrais acteurs en images de synthèse, confère de surcroît au long métrage un aspect «bande dessinée» avec lequel le réalisateur peut se permettre toutes les audaces.

C'est dire que 30 ans après son initiation à l'univers du reporter à la houppette rousse, Spielberg est enfin aujourd'hui en mesure de proposer Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne, un film d'animation en 3D qui, depuis sa sortie en Europe il y a plus d'un mois, obtient un très grand succès. En France seulement, le film a déjà attiré plus de cinq millions de spectateurs.

Une adaptation fidèle

Comme le titre l'indique, le récit du film est tiré de l'un des plus célèbres albums de la série. Des éléments du Crabe aux pinces d'or et du Trésor de Rackham le rouge ont toutefois été intégrés pour les besoins de la cause. Les tintinologues regretteront l'éviction du vénéré professeur Tournesol du film, mais ils salueront en revanche l'astuce dont ont fait preuve les trois scénaristes britanniques (Steven Moffat, Edgar Wright et Joe Cornish) pour lier les différentes parties de l'histoire. Ils souriront aussi quand ils verront l'un des plus célèbres personnages de la galerie faire son entrée de façon complètement inattendue.

«Nous tenions mordicus à travailler de concert avec les gardiens de la mémoire de Hergé, fait valoir le cinéaste. Nous voulions traduire son oeuvre le plus fidèlement possible à l'écran. On souhaite que ceux qui ne connaissent encore rien de l'univers de Tintin fassent une heureuse découverte. Et nous espérons que ceux qui le connaissent déjà sur le bout de leurs doigts reconnaissent l'hommage que nous avons voulu rendre à Hergé.»

Rencontre manquée

Steven Spielberg n'a jamais eu l'occasion de rencontrer le célèbre dessinateur belge, mort en 1983. Mais il lui a parlé au téléphone.

«C'était peu de temps avant sa mort, rappelle celui qui réalisait alors E.T. the Extraterrestrial. Nous avions convenu d'une rencontre. Je voulais d'abord lui faire part de mon admiration. Je souhaitais aussi connaître son sentiment à propos d'une éventuelle adaptation cinématographique. Il m'a dit qu'à ses yeux, j'étais le seul réalisateur qui pouvait rendre justice à ses albums au cinéma. Cette marque de confiance m'a toujours été très précieuse.»

Peter Jackson, qui agit ici à titre de producteur, et Steven Spielberg ont convenu d'utiliser des effets 3D pour donner l'impression au spectateur d'évoluer dans des décors créés par Hergé lui-même. Mais le réalisateur n'est généralement pas fou des films en 3D.

«La 3D n'est qu'un outil, précise Steven Spielberg. Ce n'est pas une fin en soi. D'ailleurs, le défi dans ce projet résidait davantage du côté de l'animation que des effets en relief. J'ai volontairement emprunté une approche plus subtile à cet égard afin que le spectateur oublie que le film est en 3D. Une technologie doit être au service d'une histoire, pas le contraire.»

Et la suite?

Le réalisateur espère maintenant que son film puisse trouver un écho assez fort en Amérique du Nord. Personne ne peut encore prédire la réaction du public à cet égard.

«Il y a beaucoup de films produits à Hollywood pour lesquels le public américain n'a aucune référence, rappelle pourtant le cinéaste. Avatar était l'un de ceux-là. Les Américains découvriront avec Tintin un univers qui leur est inédit, et je suis certain qu'ils y prendront plaisir. C'est aussi la raison pour laquelle nous lançons d'abord le film en Europe. De cette façon, le public américain en entend déjà parler.»

Des plans sont déjà clairement établis pour porter à l'écran d'autres épisodes. Si le public est au rendez-vous, Peter Jackson réalisera à son tour un film tiré des albums Les 7 boules de Cristal et Le Temple du soleil.

«Nous sommes fin prêts, annonce Steven Spielberg avec enthousiasme. Nous souhaitons ardemment pouvoir mettre un autre film en chantier. Et je vous promets que le professeur Tournesol y sera!»

Un nouveau chapitre

Depuis 1929, l'année de naissance de Tintin, plus de 220 millions d'albums se sont vendus dans le monde. Plus de la moitié d'entre eux ont été écoulés dans les territoires francophones. Des dessins animés ont été tirés de quelques-uns des 24 albums que compte la série*. Deux longs métrages originaux, dans lequel Jean-Pierre Talbot prêtait ses traits juvéniles au célèbre reporter, ont été réalisés au début des années 60. Tintin et le mystère de la Toison d'or (1961) et Tintin et les oranges bleues (1964) marquent plus les esprits par leur caractère événementiel que par leurs qualités cinématographiques.

Hergé a tenté de percer le marché américain du dessin animé. En vain. Les projets d'adaptation cinématographiques avortent aussi les uns après les autres au fil des décennies. Roman Polanski, Jean-Pierre Jeunet, et Jaco Van Dormael auraient planché sur différents projets à un moment ou à un autre. En mettant toute la machine hollywoodienne au service de l'univers d'Hergé, Steven Spielberg est peut-être en train d'écrire un nouveau chapitre de Tintin en Amérique...

* En incluant l'inachevé Tintin et l'Alph-Art, publié après la mort de l'auteur.

Québec, ce territoire distinct...

La sortie des Aventures de Tintin: Le secret de la Licorne vendredi marque une grande première dans l'histoire de la distribution au Québec. Jusqu'à maintenant, jamais un grand studio hollywoodien n'avait traité distinctement notre territoire. Dans les faits, le Québec (tout comme le Canada) fait partie du marché «intérieur» américain. À la suggestion de la productrice Kathleen Kennedy et de Steven Spielberg, le studio Paramount a toutefois consenti à lancer le film dans la Belle Province deux semaines plus tôt que dans le reste de l'Amérique du Nord.

«Cela nous semble tout naturel, a déclaré Kathleen Kennedy, la fidèle complice professionnelle de Steven Spielberg depuis plus de 30 ans. Nous lançons d'abord le film en Europe parce que le premier public est là. Mais nous savons que Tintin est aussi très populaire au Québec.»

The Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn (Les aventures de Tintin: Le secret de la Licorne en version française) prend l'affiche le 9 décembre.

Les frais de voyage ont été payés par Paramount Pictures.