Nelly, troisième film d'Anne Émond, n'est ni une adaptation de ses romans ni un film biographique, mais une exploration qui a poussé comme une fleur sur l'oeuvre et la vie de Nelly Arcan, disparue en 2009. Mylène Mackay y incarne tour à tour quatre figures de femmes qui posent un regard sur le mystère Arcan. La cinéaste et la comédienne nous expliquent le processus de création de ce film sans concessions.

La putain

Anne Émond et Mylène Mackay n'ont jamais rencontré Nelly Arcan. Comme la plupart des gens, elles l'ont découverte par ses romans, plus particulièrement son premier, Putain, qui l'avait propulsée sur le devant de la scène au début des années 2000.

«J'avais été transfigurée, je trouvais que c'était vraiment une grande oeuvre, comme celle de Hubert Aquin, confie la cinéaste. J'étais une grande admiratrice de son écriture, et en même temps, j'avoue que le personnage public m'irritait, par moments, autant qu'il me fascinait.»

C'est que, dès le départ, tout le monde voulait savoir quelle était la part de vérité dans ce roman d'autofiction, comme s'il était plus important de connaître les détails de son expérience d'escorte que d'essayer de comprendre sa réflexion sur la prostitution, l'une des plus saisissantes jamais lue sur le métier.

«Elle amenait la dimension féminine, le désir de plaire, à un degré que je n'avais jamais vu», note Mylène Mackay, pour qui Nelly Arcan a été essentielle dans son travail de création au sein de sa compagnie de théâtre Bye Bye Princesse.

«Ce qui est dommage, c'est qu'on la ramenait toujours à cette enveloppe, alors que sa réflexion allait tellement plus loin que ça.»

Dans le film, le personnage de la putain est probablement celui qui apporte les scènes les plus dures et les plus crues. Le film a aussi quelque chose de claustrophobe, les différentes Nelly étant toujours enfermées, dans une chambre d'hôtel ou un appartement, voire dans la solitude ou le regard des autres. 

«Il n'y a pratiquement pas de scènes extérieures, confirme la cinéaste. C'était voulu. Je voulais que le film fasse mal, qu'on ne soit plus capable de respirer. Il n'y a plus d'issue, un moment donné, et je trouve que son oeuvre nous fait ça, comme une spirale descendante...»

L'amoureuse toxique

Les scènes où Mylène Mackay, en brunette amoureuse jusqu'au délire de son chum (Mickaël Gouin) avec qui elle entretient une relation autodestructrice, faite de dépendance affective et de drogues, sont inspirées de son roman Folle. La jalousie et la rivalité entre femmes sont un autre des grands thèmes de Nelly Arcan. 

«Ce devait être toute une amoureuse, assez intense», note Anne Émond, qui dit avoir fait un grand travail documentaire avant l'écriture de son scénario.

En plus d'avoir lu ses écrits, elle a interrogé les amis et amies, les amants et la famille de Nelly Arcan, qui ont bien reçu le film, au grand soulagement de la cinéaste. 

«Quand on décide de s'attaquer à un personnage qui a été aussi marquant et qui est mort aussi récemment, c'est sûr que c'est casse-gueule. J'ai beaucoup réfléchi à la façon d'aborder le sujet, et pour moi, il n'a jamais été question de faire une adaptation.»

«Je suis allée à coeur ouvert, et au fil de mes rencontres avec son entourage, c'est comme si le mystère s'épaississait à mesure que j'avançais.

«Je me suis rendu compte que ce n'est pas seulement un film sur Nelly Arcan et son oeuvre, mais aussi un film sur la difficulté d'être une femme dans ce monde. Toutes les femmes savent ce qu'est la jalousie, le besoin d'être désirée, mais peut-être pas à un degré aussi extrême. Il y a quelque chose d'universel là-dedans.» 

«Le scénario d'Anne ne permettait pas de trahir Nelly, croit Mylène Mackay. On ne se donne pas le droit de dire que nous savons la vérité sur son mal-être. On propose, on crée, tout ça se rejoint dans une oeuvre faite à partir d'une autre.»

Photo fournie par Les Films Séville

Mylène Mackay incarnant le personnage de l'amoureuse toxique, inspiré du roman Folle, en compagnie de son chum joué par Mickaël Gouin

La star

Dans son scénario, Anne Émond est allée bien au-delà de Nelly Arcan, en lisant les biographies de femmes célèbres aux destins tragiques, comme Marilyn Monroe, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Amy Winehouse... 

«Toutes ces femmes qui se sont brûlées par leurs oeuvres, par l'amour, le sexe, la drogue, l'alcool, de grandes artistes qui avaient des choses à dire et qui sont mortes pratiquement sacrifiées, précise la cinéaste. Je crois que Nelly elle-même ne savait plus trop ce qui était vrai entre son oeuvre et sa vie, mon sentiment est qu'elle s'est perdue dans tout ça.»

«Le film est pour moi un peu à l'image du chaos de sa vie.»

Le rapport de Nelly Arcan avec les médias a toujours été douloureux, encore plus lorsqu'on sait à quel point elle était tourmentée par son image. Les segments où l'on voit Mylène Mackay en star, très Marilyn, justement, font écho au roman À ciel ouvert qui abordait l'obsession de l'apparence. 

«Il y a une société autour de nous qui nous envoie tout le temps des flèches, note la comédienne. Tu dois être belle, mince, c'est là tout le temps et ça nous joue dans la tête. C'est tellement insidieux et on n'admet pas que ce n'est pas un problème réglé. La nouvelle religion, c'est la beauté.»

«C'est triste qu'une femme aussi sensible ait été obligée de se soumettre à tous ces regards-là, les clients, les médias, les femmes, les critiques», poursuit Anne Émond, qui dit avoir été profondément bouleversée par son suicide.

«Quand j'ai appris sa mort, j'ai pleuré comme si je la connaissais. Il y avait une espèce de fatalité, écrite partout dans ses romans, qui se réalisait, et ça m'a à la fois attristée et mise en colère. Je l'ai presque "pris personnel". Comment une artiste, une femme, une amoureuse survit-elle dans ce monde? C'est une mort violente dans un monde violent. Et qui ne s'est pas amélioré.»

Photo fournie par Les Films Séville

Mylène Mackay incarnant le personnage de la star, inspiré du roman À ciel ouvert, qui abordait l'obsession de l'apparence.

L'écrivaine

Ce qui demeure le plus important, et ce qui reste, c'est l'oeuvre de Nelly Arcan. Les scènes les plus poignantes du film sont certainement celles où l'on voit la solitude et les angoisses de l'écrivaine.

Pour Anne Émond et Mylène Mackay, cette immersion totale et intense dans l'univers d'Arcan n'a rien changé à ce qu'elles pensent de ses écrits, qu'elles jugent essentiels. 

«Ses réflexions sur les femmes, les hommes, sur l'identité sont tellement puissantes», insiste Mylène Mackay.

«On dit qu'on devrait l'étudier en philosophie. Je pense qu'elle a touché à quelque chose qui n'avait jamais été dit de cette façon-là.»

La comédienne, qui s'est donnée corps et âme pour ce film, se sent liée plus que jamais à Nelly Arcan. «C'est très particulier. C'est un grand rôle pour moi, et par moments, j'ai eu un malaise avec ça, comme si le chemin d'ombre d'une femme était un chemin de lumière pour moi. Mais j'ai accepté. Je me sens très liée à elle, mais c'est beau.» 

Ce qui a changé, par contre, c'est le sentiment de perte. «Ce qui m'attriste le plus est que je suis persuadée à 100 % qu'elle avait encore de grands romans à écrire», dit Anne Émond, encore émue par l'expérience de ce film qu'elle compte accompagner dans tous les festivals.

«Mon regard sur elle est maintenant plein d'empathie. Je me suis attachée à elle, j'aurais aimé la connaître et la prendre dans mes bras. Mais elle est vraiment partie avec tous ses secrets.»

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Le film Nelly prend l'affiche le 20 janvier.

Photo fournie par Les Films Séville

Mylène Mackay incarnant le personnage de l'écrivaine.