La notion de capitalisme sauvage a aussi contaminé l'Europe. Au lendemain de la crise de 2008, Costa-Gavras a enfin réalisé le film dont il rêvait depuis des années. Le capital aborde l'emprise qu'a l'argent dans l'esprit des hommes.

Dans les années 60, Costa-Gavras s'est fait connaître grâce à des thrillers politiques dans lesquels on dénonçait les abus de pouvoir. Des films comme L'aveu et surtout Z ont établi sa réputation. 

Depuis cette époque, le cinéaste français n'a jamais craint d'aborder de plein fouet des sujets délicats. Il y a une dizaine d'années, Amen a fait grand bruit en évoquant le mutisme du Vatican à propos de l'extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans Le couperet, il évoquait les conséquences de la mondialisation à travers le parcours d'un cadre qui en est venu à commettre l'irréparable après avoir été licencié.

Une charge féroce

Dans Le capital, son plus récent film, Costa-Gavras dénonce cette fois le monde de la haute finance. Gad Elmaleh, qui fait ici un virage vers le drame, incarne le directeur financier d'une grande banque européenne. Inspiré du roman éponyme de Stéphane Osmont, le récit décrit le combat que doit mener le financier pour résister à la tentative d'achat hostile d'une société américaine.

«L'envie de faire un film sur l'argent et le rôle psychologique qu'il joue sur les hommes m'habitait depuis très longtemps, a confié le réalisateur au cours d'un entretien accordé à La Presse l'an dernier à Paris. 

«Quand ils deviennent riches, particulièrement si cette prospérité survient de façon plus soudaine, les hommes perdent leurs repères et sombrent parfois dans toutes sortes de dérives. Mais je ne trouvais pas la manière. Je suis d'abord tombé sur un livre terrible de férocité, écrit par François Gille, ancien directeur du Crédit Lyonnais. On aurait dit un bouquin écrit par un gauchiste!

«En fait, ajoute-t-il, on s'aperçoit à quel point les grands argentiers évoluent en autarcie totale, sans aucune empathie pour les gens et les difficultés qu'ils éprouvent. On pensait que le monde financier se doterait d'une éthique plus rigoureuse en Europe qu'en Amérique, mais il n'en est rien. Les discours vertueux prononcés par nos dirigeants au lendemain de la crise de 2008 n'ont évidemment eu aucune suite. 

«Le livre de Stéphane Osmont, dont ce film est une libre adaptation, est une charge très violente. De mon côté, j'ai fait des recherches, rencontré des banquiers. J'ai alors réalisé que les bonzes de la haute finance sont souvent des gens de qualité, très séduisants, très cultivés. Cela les rend d'autant plus redoutables!»

Aussi Costa-Gavras dénonce-t-il un système économique qui fait en sorte que l'écart entre les riches et les pauvres se creuse toujours davantage. Et dont la mécanique repose sur une utilisation de sommes qui ne servent qu'à faire fructifier d'autres sommes, sans produire quoi que ce soit.

«C'est une aberration totale, dit-il. Et d'un cynisme!»

Un contre-emploi pour Gad Elmaleh

Après avoir fait appel à José Garcia pour Le couperet, un film auquel on pourrait prêter une certaine communauté d'esprit avec Le capital, Costa-Gavras a choisi cette fois Gad Elmaleh pour interpréter le rôle principal de son film. L'humoriste en a été étonné lui-même!

«J'ai pensé à Gad parce que j'aime son personnage et j'aime son humour, fait valoir le cinéaste. J'aime aussi beaucoup les contre-emplois. J'ai vu Gad sur scène et j'ai été impressionné par sa facilité à passer d'un personnage à l'autre tout en restant toujours très juste. Je me suis dit qu'en le voyant à l'écran, le spectateur aurait tout de suite le réflexe de sourire. Or, cela n'arrive jamais. Je voulais aussi jouer là-dessus. 

«Quand Gad m'a demandé pourquoi je lui offrais ce rôle, je lui ai fait parvenir le DVD de Missing, un film que j'ai fait il y a 30 ans avec Jack Lemmon. Jusque-là, Jack était aussi reconnu pour ses rôles comiques. Je crois que cela l'a convaincu!»

Sorti en France vers la fin de l'année 2012 (plus d'un an avant The Wolf of Wall Street!), Le capital n'a pas obtenu là-bas l'accueil escompté. Ni auprès de la critique ni auprès du public.

«Le film a provoqué des discussions intéressantes, mais il y a aussi eu beaucoup de critiques violentes, reconnaît Costa-Gavras. J'avoue que je m'explique mal ce rejet. Depuis mon premier film, je me suis toujours donné pour consigne de ne jamais commenter les critiques, bonnes ou mauvaises. Mais je vous avouerai quand même qu'on espérait mieux. C'est indéniable.»

S'apprêtant à célébrer son 81anniversaire de naissance le mois prochain, Costa-Gavras est toujours à l'affût d'un prochain sujet de film.

«Mais je tiens aussi à consacrer du temps à mes petits-enfants. Tout va tellement vite maintenant. Et personne ne sait trop où le monde s'en va. Quel genre de vie auront ceux qui grandissent aujourd'hui?»

Le capital prend l'affiche le 31 janvier.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.