Quand Xavier Dolan était adolescent, son père aimait dire aux gens que son fils était un génie. «Je savais qu'il avait une vision, dit Manuel Tadros. Tout le monde me répondait que j'étais un bon père et que c'était pour ça que je le pensais. Mais je leur répliquais que mon fils était spécial.»

Aujourd'hui, peu de gens contestent cette opinion.

À peine âgé de 25 ans, Dolan pourrait voir son film Mommy se retrouver en nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger le 15 janvier.

Mais même avant la réalisation de son premier long métrage, J'ai tué ma mère, sa puissance de création était formidable, disent ses proches.

«Il réussissait tout ce qu'il entreprenait, se rappelle M. Tadros. Sans doute parce qu'il a toujours cru en ses rêves. C'est un garçon qui sait obtenir ce qu'il veut.»

Selon Manuel Tadros, la passion de son fils pour le cinéma a vraiment commencé à l'âge de 11 ans lorsqu'il a vu Titanic, le drame épique de James Cameron. Xavier a alors commencé à dessiner des robes basées sur ce que portait le personnage interprété par Kate Winslet.

L'adolescent était très intelligent, même si cela ne paraissait pas dans ses résultats scolaires. L'école n'allait pas assez vite à son goût, estime son père. «C'était un bon gamin, pas un méchant garçon. Il était un garçon qui avait besoin de beaucoup, beaucoup d'attention. Quand il voulait quelque chose, il la voulait immédiatement. Il avait toujours deux longueurs d'avance. Sa mère était épuisée.»

Odile Tremblay, la critique de cinéma du Devoir, se rappelle avoir rencontré Xavier Dolan alors qu'il était âgé de 16 ans. Manuel Tadros sortait alors avec la soeur de la journaliste.

«Il était si brillant et amusant. Il était si lumineux et si curieux. Il voulait tout apprendre, dit-elle. Il voulait connaître les poètes et les réalisateurs. Il voulait savoir ce qu'il devait lire, ce qu'il devait voir.»

Elle est devenue un mentor pour l'aspirant-auteur. Ce dernier a écrit une nouvelle intitulée J'ai tué ma mère qu'il adaptera plus tard pour son premier film.

Mme Tremblay se rappelle que le jeune homme se disputait constamment avec sa mère lorsque tous les deux vivaient ensemble. La relation s'est améliorée lorsqu'il s'est installé dans son propre appartement. Il aimait les femmes et il s'est entouré de femmes pouvant servir de modèles.

Selon Manuel Tadros, la relation entre Dolan et sa mère ont grandement inspiré le cinéaste. «C'est une très bonne personne. La relation était électrique et, parfois, cela prenait peu de choses pour faire éclater une dispute, mais il y avait beaucoup d'amour.»

L'agent de Xavier Dolan a dit à La Presse Canadienne que son client ne donnerait pas d'entrevue en raison de son horaire chargé. La mère du cinéaste, Geneviève Dolan, n'a pu être jointe.

Après avoir obtenu son diplôme d'études secondaires, Dolan a pris quelques cours de cinéma. Mais il a tôt fait d'abandonner ses études pour réaliser son premier film.

«Il m'a dit qu'il savait déjà tout ce que (ses professeurs) lui enseignaient et qu'ils ne lui apprenaient rien. Il avait besoin de réaliser son film, disait-il», se souvient Manuel Tadros.

Alors âgé de 17 ans, Xavier Dolan a investi l'argent qu'il avait gagné à titre de comédien et de doubleur pour réaliser ce premier long métrage.

Xavier Dolan a alors rencontré deux de celles qui deviendront ses actrices favorites: Anne Dorval et Suzanne Clément. Dans une entrevue réalisée plus tôt cette année, Suzanne Clément a décrit Dolan comme étant un jeune homme «ambitieux, intelligent, très hyperactif».

Coup d'essai, coup d'éclat. J'ai tué ma mère a été salué par la critique et les cinéphiles lorsqu'il a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. «On ne pouvait plus l'arrêter», raconte son père.

Xavier Dolan a réalisé trois films en autant d'années: Les amours imaginaires, Laurence Anyways et Tom à la ferme. Tous ont été présentés lors d'importants festivals de cinéma. Tous ont été salués par la critique.

Mais Mommy a été une plus grande réussite encore. Le film a été accueilli avec enthousiasme à Cannes, obtenant une ovation de 13 minutes. Manuel Tadros était présent et il dit avoir alors pleuré de joie. «J'étais totalement émotif à ce moment-là. Je me suis dit que ce film allait être quelque chose de plus gros que les précédents.»

Son père n'était pas un Cassandre. Xavier Dolan a obtenu le prestigieux Prix du jury, ex-aequo avec le célèbre cinéaste français Jean-Luc Godard. En France, le jeune Québécois est une vedette. Il a même fait la une de Libération à lui tout seul, en octobre. Il l'avait déjà partagée avec un politicien français en mai.

Son prochain film, The Death and Life of John F. Donovan, a été coécrit avec l'acteur réalisateur montréalais Jacob Tierney. Il le tournera en anglais, une première pour lui. On retrouvera à l'affiche du film Kit Harington et Jessica Chastain.

Avoir rencontré autant de succès avant d'avoir soufflé sur sa 26e bougie est phénoménal. Odile Tremblay se demande s'il pourra composer avec la pression.

«Je ne sais pas ce qui pourra le changer, dit-elle. Je sais qu'il est fort, mais il est jeune et si célèbre. Qu'arrivera-t-il? J'espère que tout se passera bien. J'espère qu'il ne se perdra pas dans tout ça.»

Manuel Tadros reconnaît qu'il a déjà été inquiet lorsque son fils a rencontré le succès après J'ai tué ma mère. Le père raconte avoir eu de «fortes discussions» avec le fils pour lui rappeler de demeurer en contact avec ses parents. Son fils a vite repris «le droit chemin» et est demeuré loyal à sa famille et à ses amis. À plusieurs reprises au cours de l'entrevue, il répétera combien il est fier de lui.

«Son humanité est si forte. C'est ce que je lui avais demandé: de ne pas laisser le milieu bouffer sa moralité. Cela ne s'est jamais produit.»