Love Projet, son quatrième long métrage, prendra l'affiche vendredi, après sa présentation en première au Festival du nouveau cinéma, vendredi dernier. Égérie de Gilles Carle, Carole Laure a connu une carrière internationale comme comédienne, avant de faire de la chanson puis du cinéma derrière la caméra. Discussion sur une génération décomplexée, celle des Y, sujet de son nouveau film.

Je me suis intéressé à ton regard sur la génération Y, qui est celle de tes enfants (Clara et Thomas). J'ai l'impression que cette génération est très ouverte sur le monde, mais beaucoup moins complexée que la mienne ou la tienne. Paris, New York, tout lui est accessible...

C'est vrai. Elle n'a pas de complexes vis-à-vis du français, de l'anglais. J'avais envie de parler de cette génération parce que je la regarde évoluer oui, à travers mes enfants, et qu'elle est très différente de la mienne.

J'étais assez marginale d'une certaine façon à mes débuts. Je faisais essentiellement du cinéma et quand j'ai voulu faire de la musique, parce que j'étais tombée amoureuse d'un musicien, que j'avais une formation musicale et que j'avais envie de chanter, on m'a dit: «Ah non! Tu vas mélanger les gens.» Ma carrière allait bien - je venais de faire une pléiade de films avec Depardieu, avec Dewaere, avec Montand - et la plus grande agence française d'acteurs de cinéma, qui me représentait, ne voulait rien savoir de mon disque ou de mes spectacles.

La génération de mes enfants veut tout faire, à grande vitesse, avec une boulimie qui n'est pas celle de ma génération. Les jeunes croient que tout est possible et ils veulent tout faire. Et Montréal, aujourd'hui contrairement aux années 70 quand j'ai débuté, le leur permet. C'est une ville multidisciplinaire où il y a de la musique, de la danse, du théâtre, du cinéma. Il y a une richesse folle dans cette génération, qui sait tout faire, veut tellement tout, et rapidement, de manière déchaînée, qu'elle nourrit une nouvelle angoisse.

Celle de toujours vouloir du nouveau, sans jamais vraiment se brancher?

Je trouve surtout que la théâtralité de cette génération se constate autant dans la vie que sur scène. J'aime cette manière théâtrale de vivre. J'aime les voir bouger. Ils veulent être partout et ils sont partout. Ils veulent aussi l'amour. Ils veulent peut-être des enfants, mais ils ne savent pas quand. Et quand ils en ont, souvent, ils se séparent. Ils vivent peut-être moins bien avec ces valeurs traditionnelles: la famille, l'amour...

Ils s'éparpillent et manquent de direction selon toi?

Non. Ils sont assoiffés de tout faire. Si j'avais à les décrire, je dirais qu'ils ont une énergie débordante. Ils sont nés dans la communication, avec la technologie, et ils sont dans la «com» de leurs émotions aussi.

Souvent prêts à mettre en scène leur vie...

Oui. C'est pour ça que je parle de leur théâtralité. Ce parallèle-là m'intéresse. Ils sont loin d'être plates.

Et ils n'ont pas froid aux yeux. Ce qui me frappe, quand je les compare à ma génération, c'est à quel point ils sont décomplexés, dans leur rapport à la France, aux États-Unis. Ils s'imposent moins de frontières.

Ils n'ont pas plus de frontières dans la sexualité. Ils sont dans la communication. Que ça se fasse en français, en anglais. Ça n'a pas d'importance. Personne de cette génération ne va me reprocher que les chansons dans mon film sont en anglais.

À une autre époque, on te l'aurait reproché. Et il y en aura certainement à qui ça donnera de l'urticaire...

Des vieux! Mon film ne s'adresse pas à eux. L'exemple au superlatif, qui est le plus spectaculaire dans l'énergie et la folie de cette génération-là, c'est quand même Xavier (Dolan). Il incarne à lui seul cette génération décomplexée. C'est un ami, parce que c'est un ami de mes enfants. Et il n'est pas seul. Mes enfants, les jeunes de mon film - Magalie Lépine-Blondeau, Éric Robidoux, Benoit McGinnis - n'ont pas peur. Ils touchent à tout, sur toutes les scènes. Ils sont affranchis. Même s'ils ont aussi des angoisses.

Je suis constamment surpris par les défis que relève Xavier Dolan. Je crois toujours qu'il vise trop haut - j'incarne peut-être le défaitisme de ma propre génération -, mais il finit toujours par dépasser ses propres objectifs. Il va faire un million d'entrées en France, son film sera le plus populaire de l'année au Québec...

C'est un génie. Un cas exceptionnel. J'ai aussi rencontré très jeune, à l'âge de cette génération-là, quelqu'un de génial, un maître (Gilles Carle) qui m'a aidée à me forger une identité. Moi qui n'ai jamais connu mes vrais parents. Il m'a amené à faire du cinéma ailleurs, où j'ai toujours été considérée comme «la Québécoise».

Être la Québécoise de service te convenait?

J'y tenais. J'étais et je reste une vraie passionnée du Québec. Même quand je jouais des rôles de Française, je restais la Québécoise. Dans les journaux, les magazines. Le Québec, c'est ce que je représentais pour eux. À une certaine période, tout m'était ouvert, mais j'avais envie de fonder une famille. Contrairement à bien des actrices de ma génération, je suis avec le même homme depuis plus de 30 ans! (rires) J'ai toujours été sincère dans mes choix, et sévère aussi. J'avais des offres incroyables que j'ai refusées pour faire ce que j'aimais et me renouveler.

À l'époque, contrairement à toi, plusieurs artistes québécois qui se sont emmurés dans le cliché du «Je n'ai pas ce qu'il faut pour réussir à l'étranger». C'est moins le cas aujourd'hui. Pourquoi, tu penses?

On se pose tous les deux la question. Je pense que ça vient de la communication. Aujourd'hui, on peut tout voir, de partout.

On constate que le gazon n'est pas toujours plus vert chez le voisin. Et on est moins repliés sur nous-mêmes culturellement.

Et ça n'empêche pas que les jeunes parlent en bien du Québec. Ils ne sont simplement plus complexés, même s'ils sont angoissés par tant de possibilités, ici même à Montréal. Que choisir? Ce n'est pas simple. Mais ils veulent conquérir le monde. Et ils ont bien raison!

Les essentiels de Carole Laure

LIVRE : Femmes qui courent avec les loups - Histoires et mythes de l'archétype de la femme sauvage de Clarissa Pinkala Estés

DISQUE : Vespertine de Björk

FILMS : Magnolia de P.T. Anderson, La leçon de piano de Jane Campion

SPECTACLE : La damnation de Faust de Berlioz, mise en scène par Robert Lepage

SCULPTURE : Les sculptures en fer de Lewis Furey (expo à venir)