On cherche longtemps la gentillesse dans The Survival of Kindness, dystopie particulièrement cruelle et radicale de Rolf de Heer, présentée vendredi en compétition officielle de la Berlinale. « Il y a beaucoup de gentillesse dans le monde, mais nous courons le risque de la perdre, a déclaré le cinéaste australien en conférence de presse, vendredi. Ça me touche quand quelqu’un est gentil. J’en suis venu à m’attendre au contraire. »

The Survival of Kindness, métaphore énigmatique inspirée par la pandémie et le mouvement Black Lives Matter, a des accents de La route, le fameux roman de Cormac McCarthy, mais sans l’aspect postapocalyptique futuriste. Ici aussi, des villages ont été abandonnés, et les citoyens déshumanisés tentent de sauver leur peau. Dans ce récit uchronique, les Blancs font spécifiquement la chasse aux Noirs et aux Autochtones, qui sont mis en cage, lapidés, fusillés.

Le plus récent film du cinéaste d’Alexandra’s Project et de Charlie’s Country commence avec l’image forte d’un gâteau sur lequel on a reconstitué une scène de massacre d’esclaves noirs par une milice d’extrême droite. Après en avoir mangé, des hommes portant des masques à gaz transportent une femme noire dans le désert et l’abandonnent à son sort, dans une cage cadenassée.

L’instinct de survie permettra à cette prisonnière d’affronter le territoire aride et inhospitalier qui l’entoure, ainsi que tous ces hommes armés qui tuent à bout portant tout ce qu’ils ne considèrent pas blanc.

Elle rencontrera sur son chemin bien des cadavres pendus à des arbres, des hommes souffrant de la variole et des survivantes de violences sexuelles.

« Lorsque les gens sont discriminés, ceux qui sont au pouvoir ne voient pas comment ils souffrent », rappelait vendredi en conférence de presse Mwajemi Hussein, l’actrice non professionnelle qui tient le rôle principal, son tout premier. Cette réfugiée congolaise habite depuis 17 ans l’Australie, où elle est travailleuse sociale, et n’était jamais allée au cinéma avant d’être choisie par Rolf de Heer. Elle est pratiquement dans toutes les scènes et crève l’écran avec ses expressions de désarroi.

The Survival of Kindness, tourné avec une équipe réduite dans les déserts du sud de l’Australie et de la Tasmanie, ne compte aucun dialogue intelligible. Que des grognements, et quelques monologues dans des langues inventées. Quand je vous disais que c’était radical…

Un journaliste a demandé à Rolf de Heer, qui a souvent tourné avec des acteurs autochtones, si un homme blanc de la classe moyenne aisée était le mieux placé pour raconter cette histoire. « Je me pose la question chaque fois que je réalise un film, a répondu le cinéaste de 71 ans en conférence de presse. Le travail du réalisateur est de comprendre une kyrielle de gens. Je crois que je suis aussi qualifié pour le faire que quiconque. Au bout du compte, c’est autant une histoire de Blancs qu’une histoire de Noirs. Celui qui raconte l’histoire doit comprendre ses deux côtés. »