Après 12 ans d’absence, la cinéaste Jane Campion a marqué son retour au grand écran de belle façon grâce à The Power of The Dog, une adaptation magnifique du roman de Thomas Savage, portée par la grande interprétation de Benedict Cumberbatch.

On peut difficilement faire plus « cinéma » que The Power of the Dog. Ce western psychologique joue à fond la carte des grands espaces et du lyrisme (on pense parfois au cinéma de Terrence Malick), tout en misant aussi sur des images en clair-obscur, dont seul le grand écran peut retransmettre les subtilités et les délicatesses. Pourtant, cette adaptation du roman de Thomas Savage, signée Jane Campion, sera bel et bien distribuée par le diffuseur en ligne Netflix.

Forcément, la question a été soulevée lors d’une conférence de presse tenue jeudi, mais la cinéaste a indiqué que le cinéma en salle et les plateformes pouvaient bien cohabiter.

« Netflix m’a offert l’espace et le budget pour me permettre d’exprimer pleinement ma vision, a déclaré la cinéaste. Et puis, heureusement, le film prendra l’affiche dans les salles deux ou trois semaines avant d’arriver sur la plateforme. Ceux qui souhaitent voir The Power of the Dog sur grand écran auront l’occasion de le faire. »

Au sommet de son art

Et ils feraient bien, pourrait-on ajouter. N’ayant rien tourné pour le cinéma depuis Bright Star, la réalisatrice de The Piano, qui a consacré des années à la série Top of the Lake, est au sommet de son art en portant à l’écran une histoire dont, pour la première fois dans son cinéma, des personnages masculins sont les protagonistes.

Campé dans le Montana d’il y a un siècle, The Power of the Dog relate le parcours de deux frères très proches, qui ne pourraient être plus différents de tempérament l’un de l’autre, dont la dynamique implose le jour où l’un d’eux ramène une femme dont il est amoureux au ranch qu’ils dirigent.

S’engage alors une joute psychologique cruelle, le « dominant » Phil (Benedict Cumberbatch) ayant le dessein de détruire celle qui est venue chambouler l’ordre des choses (Kirsten Dunst) en épousant la « bonne pâte » qu’est son frangin (Jesse Plemons). D’autant que le fils de cette dernière, un adolescent aspirant à devenir chirurgien (Kodi Smit-McPhee), ne correspond pas du tout à l’idée que Phil se fait de la virilité.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Benedict Cumberbatch et Jesse Plemons dans The Power of the Dog, de Jane Campion

Avec finesse, sensibilité et sensualité, Jane Campion raconte une histoire beaucoup plus complexe – et ambiguë – qu’elle ne pourrait paraître au premier abord. Même si The Power of the Dog utilise les codes traditionnels d’un genre associé à une autre époque, son film est résolument moderne et distille un propos faisant écho à des préoccupations contemporaines, notamment en regard de la notion de masculinité toxique. Questionné à ce sujet, Benedict Cumberbatch a en outre fait valoir que son personnage était le produit de sa société.

PHOTO MIGUEL MEDINA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Kirsten Dunst, Jane Campion et Benedict Cumberbatch lors de la projection officielle de The Power of the Dog, en lice pour le Lion d’or à Venise

« Sans l’accepter, on peut essayer de comprendre, a-t-il dit. Essayer de comprendre ce qu’est la masculinité toxique et la reconnaître est la seule façon de changer les choses. La prendre de front ne fait que jeter de l’huile sur le feu. Il faut tenter de comprendre pourquoi ces gens qui souffrent font aussi souffrir les autres. »

Un changement de température

Première réalisatrice à avoir obtenu la Palme d’or du Festival de Cannes, grâce à The Piano en 1993, Jane Campion estime par ailleurs que les femmes « font très bien » actuellement au sein de l’industrie, soulignant au passage l’Oscar de la meilleure réalisation décerné à Chloé Zhao (Nomadland) cette année, ainsi que la Palme d’or de Cannes, attribuée à Julia Ducourneau (Titane).

PHOTO DOMENICO STINELLIS, ASSOCIATED PRESS

Jane Campion sur le tapis rouge. The Power of the Dog a été présenté jeudi à Venise en primeur mondiale.

« À partir du moment où vous leur donnez une chance, il n’y a plus beaucoup de moyens de les arrêter, a-t-elle ajouté. Mais je sais que les statistiques ne sont toujours pas en faveur des femmes. Tout ce que je peux dire, à cet égard, est qu’on sent un changement de température depuis l’arrivée du mouvement #metoo. Pour nous, les femmes, c’est comme la chute du mur de Berlin ou la fin de l’apartheid. »

Coproduit par Roger Frappier, The Power of the Dog prendra l’affiche en salle le 17 novembre (peut-être à Montréal, mais cela reste à confirmer). Il sera offert sur la plateforme Netflix le 1er décembre.