En citant Joker 11 fois, soit plus que toute autre production, les membres de l’Académie des arts et des sciences du cinéma n’ont pas craint de célébrer un film dur, violent, peu aimable, qui tend à l’Amérique un miroir implacable. Trois autres candidats chauffent pourtant sérieusement le fou rival de Batman avec, chacun, 10 sélections : The Irishman, 1917, et Once Upon a Time… in Hollywood. À moins d’un mois de la cérémonie, rien n’est encore vraiment joué...

Le studio dominant ? Netflix !

PHOTO NIKO TAVERNISE, FOURNIE PAR NETFLIX/ASSOCIATED PRESS

Joe Pesci et Robert De Niro dans The Irishman

En incluant le très beau film d’animation français J’ai perdu mon corps, qu’il diffuse dans plusieurs territoires (dont celui de l’Amérique du Nord), ainsi que deux films documentaires produits dans son giron (American Factory et The Edge of Democracy), Netflix recueille pas moins de 24 sélections dans cette course aux Oscars, soit plus que tout autre studio ou distributeur. En plus de celles, attendues, attribuées à The Irishman (10 citations) et à Marriage Story (6), le géant de la diffusion en ligne a aussi vu The Two Popes faire belle figure, notamment dans les catégories d’interprétation. Si les membres de l’Académie ne sont pas allés jusqu’à attribuer l’Oscar suprême l’an dernier à Roma (Green Book fut le lauréat), peut-être le feront-ils cette année avec The Irishman. Cela dit, 1917 bénéficie clairement de l’avantage en ce moment. Sorti en toute fin d’année, encore tout frais à la mémoire des membres votants, et impressionnant à plus d’un titre, le film de Sam Mendes pourrait bien répéter le même doublé qu’aux Golden Globes. Mais ce vent favorable tiendra-t-il encore dans un mois ?

Le « boys club » 

PHOTO VALERIE MACON, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Greta Gerwig, réalisatrice de Little Women

Après les Golden Globes, après le dévoilement des finalistes aux BAFTA Awards et les critiques qui ont suivi, on aurait pu s’attendre à ce que les membres de l’Académie soient plus sensibles à la notion de diversité, dans tous les sens du terme. Or, ce n’est pas le cas. Parmi les cinq finalistes dans la catégorie de la meilleure réalisation, aucune réalisatrice n’a été retenue. Greta Gerwig, dont le film Little Women est en lice pour l’Oscar du meilleur film et du meilleur scénario adapté (en plus de quatre autres catégories), était pourtant pressentie. Lulu Wang, qui s’attendait sans doute à ce que son film The Farewell ne soit pas complètement écarté de la course, n’a pas eu droit à plus de considération. Sur les réseaux sociaux, le mot-clic #OscarsSoWhite est réapparu...

Parasite, le Roma de 2020 ?

CHRISTOPHER SMITH, ARCHIVES INVISION/ASSOCIATED PRESS

Bong Joon-Ho, réalisateur de Parasite

Lauréat de la Palme d’or du Festival de Cannes l’an dernier, Parasite fait partie de ces films qui, au cours de l’histoire des Oscars, sont parvenus à dépasser le cadre habituellement réservé aux films en langue étrangère pour se distinguer dans plusieurs autres catégories. L’an dernier, Roma avait marqué les esprits en transformant en statuettes dorées 3 de ses 10 citations (meilleure réalisation – Alfonso Cuarón –, meilleure direction photo et meilleur film en langue étrangère). Plusieurs verraient d’un très bon œil le cinéaste coréen Bong Joon-ho répéter l’exploit, d’autant plus que Parasite a emprunté des allures de phénomène sur le circuit des films internationaux. Oscar du meilleur film pour Parasite et Oscar de la meilleure réalisation à Bong Joon-ho ? Certains en rêvent…

Meilleur film international, un favori se détache

PHOTO FOURNIE PAR NEON/ASSOCIATED PRESS

Woo-sik Choi, Kang-ho Song, Hye-jin Jang 
et So-dam Park dans Parasite

Quand un film comme Parasite est aussi cité dans plusieurs autres catégories, le sacre est quasi assuré. Ce fut notamment le cas de Tigre et dragon (Ang Lee) en 2001, d’Amour (Michael Haneke) en 2013, et de Roma (Alfonso Cuarón) l’an dernier. Il convient cependant de souligner que Douleur et gloire (Pedro Almodóvar) vaut aussi à Antonio Banderas une sélection dans la catégorie du meilleur acteur. Si la place du film français Les Misérables (Ladj Ly) était prévisible, on remarque qu’un autre finaliste de cette catégorie fait aussi double emploi : Honeyland, un film de Ljubo Stefanov et Tamara Kotevska produit en Macédoine du Nord, est aussi en lice dans la catégorie du meilleur long métrage documentaire. Le film polonais Corpus Christi (Jan Komasa), qui n’a pas encore été distribué au Québec, a par ailleurs été lancé à la Mostra de Venise, dans la catégorie parallèle Venice Days. Signalons qu’avant Parasite, la Corée du Sud, qui produit pourtant l’un des cinémas les plus dynamiques du monde, n’avait jamais été finaliste dans cette catégorie.

Sacrés aux Golden Globes, écartés aux Oscars…

PHOTO MIKE BLAKE, ARCHIVES REUTERS

Awkwafina

Qu’on en commun Awkwafina et Taron Egerton ? Il y a à peine plus d’une semaine, Awkwafina remportait le Golden Globe de la meilleure actrice dans une comédie ou un film musical grâce à sa performance dans The Farewell. Taron Egerton remportait de trophée équivalent du côté masculin pour s’être glissé dans la peau d’Elton John dans Rocketman. Or, ces deux lauréats ne sont pas invités au bal des Oscars. Du coup, la théorie selon laquelle les choix des membres de la Hollywood Foreign Press Association, qui attribuent les Golden Globes, annonceraient les choix des membres de l’Académie en prend un peu pour son rhume. The Farewell est totalement absent de la course, et Rocketman, qui ne sera vraisemblablement pas le Bohemian Rhapsody de cette année, est en lice une seule fois, dans la catégorie de la meilleure chanson originale, (I’m Gonna) Love Me Again.

PHOTO PAUL DRINKWATER, FOURNIE PAR NBC UNIVERSAL/REUTERS

Taron Egerton

Snobés ou oubliés…

PHOTO BARBARA NITKE, FOURNIE PAR STXFILMS/ASSOCIATED PRESS

Jennifer Lopez dans Hustlers

Les acteurs forment la branche la plus importante de l’Académie, leurs choix aux Oscars reflètent donc souvent ceux de leur association professionnelle, dont la cérémonie – les Screen Actors Guild Awards – aura lieu le 19 janvier. Certaines différences se font cependant remarquer cette fois. Jennifer Lopez (Hustlers), Nicole Kidman (Bombshell), Lupita Nyong’o (Us), Christian Bale (Ford v Ferrari), Jamie Foxx (Just Mercy), cités aux SAG Awards cette année, n’ont pas de réciprocité aux Oscars. L’absence de Robert De Niro se révèle aussi un peu étrange, dans la mesure où The Irishman est l’un des films les plus prisés de l’Académie. Certains observateurs auraient par ailleurs souhaité une reconnaissance pour Eddie Murphy, dont la performance dans Dolemite Is my Name a fait l’unanimité, et aussi pour Adam Sandler dans Uncut Gems. Cela dit, on ne voit pas ici de scandale. Qui n’a pas hâte de voir Brad Pitt monter sur la scène du Dolby Theater pour obtenir son tout premier Oscar à titre d’acteur ?

La 92e soirée des Oscars aura lieu le dimanche 9 février.

Les principaux finalistes

Meilleur film

Ford v Ferrari
• The Irishman
• Jojo Rabbit
• Joker
• Little Women
• Marriage Story
• 1917
• Once Upon a Time… in Hollywood
• Parasite

Meilleure réalisation

Bong Joon-ho, Parasite
Sam Mendes, 1917
Todd Phillips, Joker
Martin Scorsese, The Irishman
Quentin Tarantino, Once Upon a Time… in Hollywood

Meilleure actrice

Cynthia Erivo, Harriet
Scarlett Johansson, Marriage Story
Saoirse Ronan, Little Women
Charlize Theron, Bombshell
Renée Zellweger, Judy

Meilleur acteur

Antonio Banderas, Douleur et gloire
Leonardo DiCaprio, Once Upon a Time… in Hollywood
Adam Driver, Marriage Story
Joaquin Phoenix, Joker
Jonathan Pryce, The Two Popes

Meilleure actrice de soutien

Kathy Bates, Richard Jewell
Laura Dern, Marriage Story
Scarlett Johansson, Jojo Rabbit
Florence Pugh, Little Women
Margot Robbie, Bombshell

Meilleur acteur de soutien

Tom Hanks, A Beautiful Day in the Neighborhood
Anthony Hopkins, The Two Popes
Al Pacino, The Irishman
Joe Pesci, The Irishman
Brad Pitt, Once Upon a Time… in Hollywood

Meilleur film international

Parasite de Bong Joon-ho (Corée du Sud)
Douleur et gloire de Pedro Almodóvar (Espagne)
Les Misérables de Ladj Ly (France)
Corpus Christi de Jan Komasa (Pologne)
Honeyland de Ljubomir Stevanov et Tamara Kotevska (Macédoine du Nord)