Mais lentement, le péage reprend du poil de la bête. Entre 30% et 40% des routes construites durant la dernière décennie aux États-Unis sont payantes, selon l'Association américaine des autoroutes d'État. Le Québec jongle aussi avec l'idée du retour du péage.

Mais lentement, le péage reprend du poil de la bête. Entre 30% et 40% des routes construites durant la dernière décennie aux États-Unis sont payantes, selon l'Association américaine des autoroutes d'État. Le Québec jongle aussi avec l'idée du retour du péage.

La perspective fait saliver les économistes. À la mi-octobre, l'un des ténors du péage, Gabriel Roth, un économiste retraité de la Banque mondiale, a prononcé une conférence à l'Institut économique de Montréal. La Presse l'a rencontré à cette occasion.

«Historiquement, l'idée que les routes doivent être gratuites et de propriété publique est très récente, explique M. Roth. Jusqu'au 19e siècle, enE Angleterre et aux États-Unis, les principales routes nationales et même régionales étaient privées; à tout le moins, elles n'étaient pas gérées par le gouvernement central. Le concept est toujours en vigueur dans des pays traditionnellement considérés de gauche, comme la Suède, où des associations de propriétaires sont responsables de nombreuses routes provinciales, ou la France, qui donne au secteur privé la gestion de plusieurs de ses autoroutes.»

Qui dit péage, dit souvent secteur privé. Mais l'important, selon M. Roth, est de faire reconnaître que la valeur d'une route est la possibilité d'y circuler facilement. «Une route congestionnée, à cause de problèmes de design ou de capacité, de travaux routiers ou d'un accident, perd une bonne partie de sa valeur pour les automobilistes. Il faut faire en sorte que cette valeur soit reconnue et maximisée par les gestionnaires, qu'ils soient publics ou privés. Le péage à tarif variable est une façon évidente de signaler cette valeur.»

D'autrers priorités

Le problème principal des routes publiques est qu'elles entrent en concurrence avec d'autres priorités gouvernementales, comme la santé ou l'éducation, et que leur propriétaire a peu de raisons de les rendre plus agréables, plus sécuritaires et moins congestionnées. «En théorie, les électeurs peuvent voter contre un gouvernement qui gère mal les routes», dit M. Roth, qui a récemment supervisé un ouvrage collectif sur les péages et la gestion privée des routes, Street Smart. «Mais quelle personne sensée va baser son vote sur les routes, alors qu'il y a tant d'autres choses plus importantes? Concrètement, le gouvernement est rarement puni quand il fait des erreurs en matière de transports.»

Et pourtant, les solutions sont à la portée de la main. «Quand je travaillais pour les chemins de fer britanniques, dans les années 50, le service de l'entretien avait toute latitude pour faire des travaux durant la nuit, mais il devait indemniser le service commercial s'il fermait des voies durant le jour, quand ça avait un impact sur les voyageurs et donc sur les ventes de billets. Imaginez les incitatifs d'une telle approche pour les routes.

On peut aussi penser à donner à contrat l'entretien des routes, avec comme seuls critères que le nombre et la taille des nids-de-poule soient inférieurs à une limite préétablie, et que l'index d'aspérité reste acceptable. Les péages peuvent aussi faire des miracles contre la congestion. Si les tarifs sont calibrés de manière à ce que le gestionnaire soit récompensé si la fluidité de la circulation est maintenue en tout temps, ils varieront durant la journée, ce qui forcera un étalement de l'heure de pointe.»

En ce sens, la récente recommandation de la commission Johnson de confier les routes à une agence indépendante, comme la SAAQ, peut parfaitement faire l'affaire. De telles approches sont de plus en plus courantes, bien que les agences soient généralement privées plutôt que publiques. En 2005, la Ville de Chicago a loué pour 99 ans le Chicago Skyway, une autoroute urbaine, pour la somme de 1,83 milliard US. L'an dernier, une autoroute en Indiana a été louée 3,85 milliards pour 75 ans, et la Pocahontas Parkway en Virginie a été louée 603 millions pour 99 ans.

Même le Canada, traditionnellement réfractaire aux péages - la plupart se trouvent sur les ponts frontaliers -, est à l'avant-plan de la révolution: la route 407 à Toronto est la première autoroute automatique au monde. Des caméras photographient les plaques des voitures qui l'empruntent, afin que les factures soient envoyées chez leurs propriétaires. Les péages ne doivent pas nécessairement ralentir la circulation à tous les 20 ou 30 kilomètres, comme jadis sur les autoroutes 10 et 15 au Québec.

Les critiques sont toutefois nombreuses. Selon les opposants à un gigantesque plan de «superautoroute» à péage, le Trans Texas Corridor, l'une des sociétés à l'origine du projet, l'australienne Macquarie, a acheté des journaux locaux pour réduire les sceptiques au silence. La privatisation des routes les rendra trop chères pour les plus pauvres, estiment les opposants.

«On mélange deux choses, dit M. Roth. C'est très bien de vouloir redistribuer les revenus. Mais la tarification des routes n'est pas la manière la plus efficace pour le faire. Si quelqu'un est trop pauvre pour s'acheter une voiture, sa mobilité est tout aussi diminuée que s'il ne peut pas se permettre de payer les péages. Est-ce qu'on va subventionner les voitures pour régler cette injustice?»

Le plan Eisenhower

L'histoire est connue: le président Dwight Eisenhower aurait développé, dans les années 50, le réseau autoroutier américain afin de permettre des mouvements de troupe rapides en cas d'invasion soviétique. C'est à la fois une fable et une réalité, selon l'économiste Gabriel Roth. «Les plans du réseau d'autoroutes dataient des années 30. Donc bien avant la menace soviétique. Cependant, il n'était pas clair que le gouvernement fédéral avait le droit de financer des autoroutes, ou s'il s'agissait de prérogatives des États. En invoquant la défense nationale, la légalité de l'opération était claire. Cela dit, en 1919, quand Eisenhower n'était qu'un simple capitaine dans l'infanterie, il a dirigé un convoi militaire de Washington jusqu'à San Francisco. Il lui a fallu 62 jours pour faire le trajet, et il a été horrifié par l'état pitoyable des routes. Cette expérience a dû être particulièrement frappante quand il a constaté la qualité des excellentes autoroutes allemandes, en 1945.»