Depuis 45 ans, la 911 berce les rêves des amateurs de conduite sportive avec un mélange de qualités et de défauts aussi attachants les uns que les autres. Cette voiture phénoménale a enthousiasmé une première génération d'automobilistes, puis leurs fils et maintenant leurs petits-fils.

Par rapport à celle de la 911, la carte de visite de la R8 paraît bien terne. En effet, le constructeur d'Ingolstadt n'a pas une tradition sportive aussi solidement ancrée que celle de son rival de Stuttgart; son expérience en compétition (aux 24 Heures du Mans, en championnat DTM et en rallye) et au contact de Lamborghini, sa filiale, n'est pas à négliger pour autant. Pour son entrée dans le monde de la sportive d'exception, Audi a mis le paquet et relance la Porsche avec deux cylindres supplémentaires.

La guerre des anciennes et des modernes n'aura pas lieu. Tout d'abord parce qu'une 911 ne se compare à rien. L'acheteur de la Porsche ne songera même pas à jeter les yeux sur une autre carrosserie. Il pourrait avoir tort.

Vie à bord

Si vous parvenez à fendre la foule pour ouvrir la portière, la présentation intérieure de la R8 vous laissera pantois. En vérité, ce n'est pas la riche qualité des matériaux qui épate, mais bien le souci accordé à chaque détail. Il s'en trouvera pour souligner la pureté artistique du tableau de bord ou pour nous rappeler que le levier de sélection se déplace dans une grille, comme chez Lamborghini.

 

À bord, la position de conduite est excellente. Voilà comment, en quelques sensations simples et avant même de rouler vraiment, la R8 peut subjuguer un conducteur. À l'usage et à l'usure, on finira bien par se rendre compte que les espaces de rangement sont rares; que les pare-soleil sont inefficaces et que la visibilité latérale est pratiquement nulle. Ces critiques s'appliquent aussi à la Porsche qui a l'excuse, elle, d'avoir été conçue il y a 45 ans.

Contrairement à la R8, on monte à bord de la 911 sans la moindre gymnastique. On ouvre la portière et on s'assoit tout naturellement. D'une teinte caramel au goût douteux, l'habitacle de la Porsche a peine à faire une aussi bonne première impression que celui de sa rivale. Les accastillages sont ici moins précis et la qualité de certains plastiques apparaît douteuse sur une voiture de ce prix. La position de conduite ne prête flanc à aucune critique mais il y a un mais: les baquets. Le dossier, par exemple, n'est pas très chaleureux dans son étreinte, et n'a pas d'appuie-tête ajustable. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises, puisqu'il est impossible de faire coulisser les sièges électriquement ce n'est même pas offert en option.

Dotée de deux places de secours à l'arrière qui ne combleront que de très jeunes enfants, la Porsche paraît manifestement moins égoïste que la R8. Mais si cette dernière ne compte que deux places, il y a suffisamment d'espace derrière les baquets pour y déposer un sac de golf de taille moyenne. Peut-être même deux. Même chose à bord de la Porsche, à condition de rabattre les dossiers des deux strapontins.

Un mot en terminant sur l'accessibilité du moteur. L'amateur trouvera fabuleux de pouvoir contempler en vitrine, sous le plexiglas du capot arrière, le moteur V8 de 4,2 litres de la R8. Il trouvera cependant moins commode de procéder aux vérifications de routine. Rassurez-vous, la mécanique de la 911 n'est guère plus accessible et révèle derrière son capot moteur un authentique cauchemar de mécanicien.

Environnement contrôlé

Habituellement, on n'expose pas une R8 ou une 911 aux rigueurs de nos hivers. Pourtant, nous avons succombé à la tentation de les amener jouer dehors, ne serait-ce que pour mesurer l'efficacité de leur rouage intégral (quatre roues motrices). Le dispositif de la R8 rappelle celle de la cousine Lamborghini Gallardo, avec un viscocoupleur central transférant de 10 à 35% du couple sur les roues avant; celui de la 911 n'en est guère éloigné (le transfert est de 5 à 40%).

Pour ce match, nous avons ajouté l'Autodrome Saint-Eustache à notre terrain d'essai habituel, dans le but de comparer les performances de nos deux protagonistes dans un environnement parfaitement sécuritaire. Le hasard a également voulu que la 911 et la R8 débarquent chaussées des mêmes pneus d'hiver (Continental Winter Contact).

Ce n'est pas sans une petite hésitation que mon collègue Jean-François Guay et moi avons emprunté la piste qui, en cette période de l'année, ressemblait plus à un tranchée où l'adhérence se détériorait au fil des tours. Nous avons roulé plusieurs tours et pas seulement, vous l'aurez deviné, pour le bénéfice de notre photographe Robert Mailloux.

La R8 a été la première à s'élancer. Première impression: au-delà de l'art, qui transpire par tous les pores de cette athlète de haut niveau, la performance de la R8 nous est apparue quelque peu aseptisée par rapport à celle de la 911. Sage, très sage même, l'Audi n'est finalement pas aussi monstrueuse que son apparence le laisse croire et ce n'est pas forcément un défaut dans la mesure où elle se révèle plus prévisible et donc plus facile à conduire que la 911. La brutaliser? Pour quoi faire? Elle n'ira vraisemblablement pas plus vite.

Au volant de la 911, c'est une tout autre histoire. On passe son temps à vouloir la maîtriser. Plus que la R8, la Porsche oblige constamment à braquer et contrebraquer, et à doser attentivement la pression sur l'accélérateur. Chose certaine, aux commandes de la 911, l'amateur de conduite aura l'impression de la dompter à travers les difficultés, voire les imperfections structurelles. Par chance, la direction est extrêmement rapide. Il ne manque plus à son pilote que les réflexes d'un jongleur pour la maintenir en piste.

Moteur hurlant

Si la Porsche n'est pas une voiture qui se livre facilement, son moteur, lui, ne se fait pas prier pour étaler ses talents. En fait, ce 3,6 litres atmosphérique de 355 chevaux est tout simplement extraordinaire. Volontaire à bas régime et en reprises puis ultra agressif en accélérations, il libère une clameur sauvage au-delà de 6000 tours. En fait jusqu'à 7300 tours/minute, il hurle. Et les six rapports de sa boîte ne sont pas de trop pour dominer la situation, au prix d'un embrayage un peu ferme, conséquence en partie imputable, croyons-nous, aux excès de certains confrères. Une commande séquentielle manque cruellement, mais Porsche s'entête malheureusement à nous servir une boîte automatique «Tiptronic» au fonctionnement archaïque.

 

Face au six cylindres à plat de Porsche, le V84,2 litres de l'Audi paraît bien timide. Linéaire, sans point culminant, ce moteur est d'une rondeur, d'une élasticité que l'on ne souhaitait pas. On lui aurait préféré au contraire un tempérament plus pointu, plus sauvage, plus caractériel quoi. Il délivre ses 420 chevaux dans un gant de velours, sans jamais vraiment vous plaquer au dossier comme une 911 En outre, la boîte à six vitesses paraît parfois très paresseuse, mais en fait c'est nous qui le sommes en raison d'une course que l'on estime trop longue - il est possible de la remplacer par une boîte séquentielle plus rapide et plus efficace.

Sur la route, la R8 se révèle nettement plus confortable que la 911. Sa très grande stabilité, malgré une direction un brin légère, en fait une auto particulièrement rassurante, peu importe le degré d'adhérence de la chaussée. Au volant de la 911, il faut composer avec une stabilité directionnelle plus délicate et toujours ce léger mouvement pendulaire du volant sans lequel une 911 ne serait plus une 911. D'accord, la direction pendule moins que naguère, mais tend toujours à vous emmener là où vous ne voulez pas.

Budget

Même si elle a été remplie avec la même rigueur que pour nos autres matchs, la portion «budget» ne change ici rien à l'issue de ce match remporté par la R8. Aussi spectaculaire à regarder qu'une voiture vendue le double de son prix, presque aussi plaisante à entendre qu'une italienne et remarquablement finie, cette Audi fait une entrée remarquée dans ce segment élitiste. Les puristes lui reprochent d'être aussi facile à conduire qu'une Toyota Yaris? En utilisation quotidienne, cela présente un atout plus qu'un défaut.

 

La 911 deuxième? En fait, malgré les immenses vertus de ce modèle et de sa très grande fiabilité, la 911 est en partie trahie par son âge. Sa présentation générale a vieilli et son tempérament n'est correctement exploité que par des initiés capables de la piloter sportivement. Ce qui n'est pas à la portée de tous.

L'auteur tient à remercier Jean-François Guay et la direction et le personnel de l'Autodrome Saint-Eustache.