Moins d'un an après l'annulation de Bazzo.tv après la perte de son crédit d'impôt, le gouvernement Trudeau permettra désormais aux talk-shows d'être admissibles au crédit d'impôt fédéral pour les émissions de télé, a appris La Presse.

Cette décision d'Ottawa mettra fin à une interprétation par les fonctionnaires des règles du crédit d'impôt qui a entraîné l'annulation de Bazzo.tv et qui menaçait plusieurs magazines télé comme Deux hommes en or et Les francs-tireurs. D'autres talk-shows comme En mode Salvail et Tout le monde en parle pourraient aussi devenir théoriquement admissibles au crédit d'impôt.

L'industrie québécoise du petit écran s'était mobilisée pour demander de tels changements à l'admissibilité au crédit d'impôt fédéral, qui couvre environ 15 % des dépenses de main-d'oeuvre des émissions qui y ont droit. 

« C'est une excellente nouvelle. À moyen terme, il y aurait eu tout un pan de la programmation qui serait tombé l'an prochain [sans changement aux règles]. Je suis contente pour l'ensemble de la télé québécoise, pour les téléspectateurs qui ont droit à une télé différente du reste du Canada », a confié la productrice et animatrice Marie-France Bazzo, en entrevue à La Presse.

La ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly estime que l'importance des talk-shows au petit écran justifie cette modification. « Les talk-shows représentent des plateformes importantes pour nos talents ainsi qu'un référent culturel de choix qui permet aux Canadiens de se voir refléter au sein du paysage télévisuel. Les talk-shows permettent de discuter des enjeux d'actualité, et de faire la promotion de l'art et de la culture d'ici. Ouvrir le crédit d'impôt aux talk-shows stimulera certainement la création d'emplois dans le secteur. Notre gouvernement est fier d'appuyer les créateurs canadiens qui sont parmi les plus talentueux au monde », a-t-elle indiqué dans une déclaration écrite.

À la fin de l'année 2015, le Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens (BCPAC), un organisme indépendant à l'intérieur du ministère du Patrimoine qui est chargé d'administrer le crédit d'impôt, a classé certains magazines télé québécois comme des émissions d'« interviews-variétés », catégorie exclue du crédit d'impôt. « Une incompréhension de la télé québécoise », dit Marie-France Bazzo. Son émission Bazzo.tv a ainsi perdu son crédit d'impôt et l'émission a pris fin au printemps dernier. Les responsables d'autres émissions - dont Deux hommes en or - avaient été prévenus que leur crédit d'impôt leur serait probablement retiré l'an prochain, au terme de leur contrat avec leur diffuseur. Auparavant, Bazzo.tv et Deux hommes en or étaient considérées comme des magazines de société, catégorie donnant droit au crédit.

PRODUCTEURS SOULAGÉS

Comme le gouvernement fédéral ne peut pas intervenir directement dans les décisions des fonctionnaires responsables du crédit d'impôt, l'Association québécoise de production médiatique (AQPM) a plutôt demandé à Ottawa de modifier les règles pour ne plus exclure la catégorie « interviews-variétés », ce qui a été fait par décret à la fin de septembre.

« Plusieurs dizaines d'émissions étaient sur la sellette comme Deux hommes en or, Les francs-tireurs, Deux filles le matin. [...] On voulait sauver les magazines, c'est pour ça que la bataille s'est faite. »

- Hélène Messier, PDG de l'AQPM, qui réunit les producteurs du petit écran

« Je suis heureuse pour la culture, ce genre d'interviews-variétés fait partie de notre culture au Québec », dit Marleen Beaulieu, présidente d'Attraction Image, qui produit Deux hommes en or.

« Ça va permettre de mettre de l'avant des émissions avec des débats de société qui auront des plages intéressantes dans les grilles des diffuseurs », dit le producteur Guillaume Lespérance, qui produit notamment La soirée est (encore) jeune à ICI ARTV, émission qui risquait aussi de perdre son crédit d'impôt fédéral.

ET LES AUTRES TALK-SHOWS ?

Avec la décision d'Ottawa, les émissions d'« interviews-variétés » ne seront plus exclues automatiquement du crédit d'impôt. Ce qui veut dire que des émissions comme Tout le monde en parle et En mode Salvail, qui n'ont jamais eu droit au crédit d'impôt, pourraient y être admissibles - à condition de remplir tous les autres critères.

Par exemple, le crédit d'impôt est réservé aux productions indépendantes (le diffuseur ne peut pas être producteur). Dans sa forme actuelle, Tout le monde en parle, coproduit par Radio-Canada, n'aurait pas droit au crédit d'impôt malgré les changements apportés par Ottawa. Le producteur délégué de Tout le monde en parle, Guillaume Lespérance, estime qu'il « est beaucoup trop tôt » pour aborder cette question.

Marie-France Bazzo se dit favorable à ce que l'ensemble des émissions de type talk-show ait droit au crédit d'impôt fédéral. « C'est aux diffuseurs de faire des grilles cohérentes avec leur station, dit-elle. Ça prend du Salvail, du [Christiane] Charette, du Bazzo et du Guy A. Lepage. »

PAS DE RETOUR DE BAZZO.TV

Malgré le changement aux règles du crédit d'impôt fédéral, Bazzo.tv, qui a fait 10 ans à l'antenne de Télé-Québec, ne reviendra pas. « L'émission n'existe plus, je suis déjà ailleurs. On est déjà sur autre chose. Je vais continuer à penser à des émissions dans cet esprit-là, des émissions qui parlent d'affaires publiques », dit Marie-France Bazzo. La productrice a proposé à un diffuseur un projet du même genre - nouvellement admissible au crédit d'impôt -, mais elle préfère ne pas donner de détails pour l'instant.

Photo Adrian Wyld, archives La Presse canadienne

La ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly