La téléréalité brasse le petit écran depuis 20 ans. La Presse a discuté avec quatre anciens participants de l'impact du phénomène dans leur vie, une fois les caméras éteintes.

Valérie Beaulieu, participante à Pignon sur rue, 2e saison (1996-1997)

Valérie Beaulieu a 22 ans et vit en appartement à Québec lorsqu'elle entend parler de l'émission Pignon sur rue, qui revient pour une deuxième saison. Elle n'a pas écouté la première, mais s'inscrit à la suggestion d'un ami.

Son but n'est pas de devenir célèbre, mais plutôt de s'installer à Montréal. L'émission réunit des jeunes des régions dans un logement et observe de quelle manière ils prennent d'assaut la «grande ville».

Valérie se pointe à l'audition en pantalon de cuir, la cigarette au bec, un côté frondeur. Le casting se déroule à merveille. «Instinctivement, je savais ce qui allait vendre.»

L'émission récolte un vif succès. Les magazines et journaux s'arrachent les candidats, à commencer par Valérie la rebelle. «On était la toute première émission à avoir une réponse du public», se souvient Valérie, qui utilise alors une adresse courriel préhistorique pour recevoir en temps réel les réactions de l'auditoire.

«Un running gag»

À l'époque, cette proximité avec le public est une notion bien abstraite. «Tu ne comprends pas vraiment que le monde te regarde. Des gars m'écrivaient pour me dire qu'ils voulaient coucher avec moi et des filles me traitaient de salope», se souvient Valérie, qui travaille aujourd'hui en télévision comme productrice au contenu chez Salvail & Co.

Son passage devant les projecteurs la suit encore 20 ans plus tard. «C'est fou, la téléréalité. Pas une semaine ne passe sans qu'on ne me parle de Pignon sur rue. C'est même devenu un running gag au bureau.»

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

À 22 ans, Valérie Beaulieu a participé à l’émission de téléréalité Pignon sur rue, qui réunissait des jeunes des régions dans un logement de Montréal.

Gabriel Julien, gagnant d'Occupation double (2007), participant à Loft Story 6: La revanche (2009)

S'il pouvait remonter le temps, Gabriel Julien n'aurait jamais envoyé sa candidature à Occupation double (OD).

«J'ai fait trois psychoses à cause du stress vécu. Ce n'est pas tout le monde qui peut endurer "l'après". Je ne voulais pas que ça continue. Au contraire, je voulais que ça arrête», confie l'homme aujourd'hui âgé de 32 ans, qui prend des antipsychotiques pour contrôler ses crises.

«Ça fait deux ans que je n'ai pas eu de crise. J'espère que les futurs candidats de ces émissions en mesureront les impacts et comprendront que peu de gens sortent de là avec une carrière», ajoute le gagnant de l'édition 2007 d'OD, aujourd'hui organisateur d'événements à Staff de bars et restos Montréal.

Son inscription à OD n'avait au départ rien de romantique: il venait d'ouvrir un bar avec un ami et s'était dit qu'une participation à l'émission était susceptible d'offrir une visibilité inespérée à l'établissement.

«Je m'en foutais un peu», résume Gabriel, convaincu que ce détachement l'a mené jusqu'à la victoire.



La fin du conte


Le nouveau candidat s'affiche rapidement en faveur d'une seule fille et n'aura d'yeux que pour elle jusqu'au bout. Entre les deux, il visitera Venise, Sainte-Lucie, en plus d'habiter une villa en République dominicaine pendant toute la durée du tournage.

Mais le conte de fées se termine abruptement.

D'abord, son couple ne survit que quelques semaines.

«On se connaissait là-bas, mais pas dans la vraie vie. C'est comme un rêve qui tourne au cauchemar», raconte Gabriel, qui a depuis renoué avec un anonymat relatif.

«Les premiers mois, les gens me parlaient tous les jours, en plus des autographes. Aujourd'hui, les gens me dévisagent constamment, comme si je leur disais vaguement quelque chose.»

Plus mature, Gabriel assume entièrement son passage éclair dans notre star-système, sans toutefois en vanter les mérites.

Il critique l'impact qu'a la téléréalité sur notre télévision. «Des gens grandissent avec ça comme j'ai grandi avec La petite vie. Ça ne laisse pas nécessairement un bel héritage à la culture québécoise et on y accorde trop d'importance», déplore Gabriel, qui qualifie de problème social l'intérêt démesuré accordé à ces productions.

«Il ne faut pas faire de la téléréalité une force de ralliement, ça ne mène nulle part. Je regarde La voix et je trouve ça bon. Quelqu'un qui chante, ça va chercher des émotions plus saines que quelqu'un qui veut sortir avec Cindy.»

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Gabriel Julien

Dominique Julien, participante à Loft Story 2 (2006), finaliste à Loft Story 6: La revanche (2009)

La réception est un peu mauvaise sur la ligne. Une douzaine de fuseaux horaires nous séparent.

Au bout du fil, Dominique Julien (aucun lien de parenté avec Gabriel Julien) est dans l'île de Ko Pha Ngan, en Thaïlande, d'où elle gère depuis deux ans un centre de soins de santé. On y offre des programmes de désintoxication de quelques jours aux touristes en quête de ressourcement.

Sans filtre, l'ancienne lofteuse avoue que c'est un peu pour fuir la téléréalité qu'elle s'est retrouvée à l'autre bout du monde, avec son copain.

Pas qu'elle regrette son expérience, au contraire. Mais la jeune femme ne cache pas une certaine amertume. «J'étais jeune et sur le party, j'avais de la misère à gérer tout ça. Je suis capable de l'affirmer aujourd'hui à 34 ans. Je l'ai eue, ma chance!», lance Dominique, qui s'était d'abord inscrite à Loft Story à la blague.

Sa «chance», c'est notamment cette entrevue qu'elle a passée pour devenir animatrice à Musique Plus à sa sortie du loft. «Je me suis plantée solide. Si j'avais poussé, j'aurais réussi. Je voulais faire de la télé, mais je trouvais ça difficile, ça jouait du coude, je me sentais intimidée.»

Le retour dans le «vrai monde» a été dur pour elle, à l'instar de certains camarades de sa cuvée. 

«On avait peur de sortir. Les gens nous couraient après dans les centres d'achats. On signait des autographes durant des heures. Quelqu'un est même entré chez moi pour voler mes sous-vêtements!»

Pour ajouter au côté un peu malsain de l'affaire, elle avait perdu en finale contre son chum de l'époque, Mathieu Baron, un des rares «produits» de la téléréalité encore visibles à l'écran.

Puis, le temps de crier «maître du loft!», l'heure de gloire s'était écoulée. «Tu deviens vite has been. D'ailleurs, entre nous les lofteurs, on s'appelait les has been de la saison 2, 3, etc.»



Le naturel revient...


Dominique a toutefois gardé les pieds dans l'univers de la téléréalité pendant un certain temps, comme analyste à Loft Story 3, chroniqueuse spécialisée dans diverses publications et participante à une ultime saison réunissant d'anciens candidats en 2009.

Elle est retournée dans le milieu des bars avant de rencontrer son copain et de le suivre à Sept-Îles durant quelques années, où elle a renoué avec le journalisme pour un hebdomadaire du coin, sans trop d'enthousiasme.

C'est à ce moment-là que le projet thaïlandais a pris forme.

Et même à l'autre bout de la terre, la téléréalité a fini par la rattraper puisque Dominique agira prochainement comme panéliste à une émission de téléréalité britannique tournée en Thaïlande.

On peut sortir une candidate de la téléréalité...

PHOTO FOURNIE PAR DOMINIQUE JULIEN

Dominique Julien

Marie-Ève Gauthier, gagnante d'Occupation double (2009)

Un diffuseur d'huiles essentielles répand ses arômes près d'une statue de Bouddha au centre de yoga PurÉquilibre, perché au deuxième étage d'un immeuble commercial situé aux pieds du mont Saint-Hilaire.

Une des deux propriétaires, Marie-Ève Gauthier - la grande gagnante de l'édition 2009 d'Occupation double - est devenue femme d'affaires. «J'ai trouvé ma voie, mon métier et j'ai réussi à bâtir quelque chose sans Occupation double», explique l'entrepreneuse, radieuse.

En fait, la téléréalité l'a grandement aidée à réaliser son rêve, puisque la vente de son condo remporté à Occupation double lui a permis de démarrer son entreprise. «Mais ce n'est pas à cause d'Occupation double que les gens viennent ici», nuance fièrement la jeune entrepreneuse.

Si elle ne regrette pas sa participation à l'émission, elle ne le referait pas pour autant, admet-elle.

Lorsqu'elle s'est présentée à l'audition, elle était une éducatrice de la petite enfance de 24 ans, de Québec. «J'y suis allée pour voyager. Je n'avais jamais pris l'avion.»



La «braillarde»


Comme les émotions sont souvent à fleur de peau dans ce huis clos, Marie-Ève se fait rapidement étiqueter comme la braillarde du groupe. Comme les participants de sa cohorte étaient civilisés et respectueux entre eux, la production n'a pas eu le choix de créer certains moments de tension, croit-elle.

«Tu pleures une fois dans la semaine et on passe la séquence dans trois épisodes. Et comme on n'a pas de contrôle sur le montage, le mal est fait et, dans la tête des gens, ce qu'ils voient à la télé est la réalité.»

Son interprétation d'une chanson de Jean-Pierre Ferland au bord de la piscine la présente ensuite sous un meilleur jour. La fille qui pleure s'était métamorphosée en fille qui chante.

Elle entreprend à son retour une tournée de bars, sorte de passage obligé et rentable pour les candidats. «Les gens nous disent des choses que je n'oserais jamais dire à ma meilleure amie», se souvient Marie-Ève, qui accepte les séances chez le psychologue offertes en sortant de l'aventure.

Elle attendra quatre années avant de regarder la saison complète de son émission, qui récoltait des cotes d'écoute allant jusqu'à 2,7 millions de téléspectateurs.

«Ç'a été un traumatisme.»

Aujourd'hui, elle a tiré un trait sur cette période de sa vie. Elle fréquente depuis quelques années un autre participant de l'émission, un policier, qui avait quitté l'aventure plus rapidement.

«Oui, il y a une vie après la téléréalité. Je sais que ç'a été difficile pour certains, mais il faut éviter de centrer sa vie sur cette seule expérience et de se définir par rapport à elle.»

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Marie-Ève Gauthier