Chantal Cadieux, auteure de Providence à Radio-Canada, vit elle-même dans une famille dite «moderne». Séparée du père de ses deux ados, le cinéaste Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y), la scénariste de 43 ans jongle avec la garde partagée, la belle-famille, les nouveaux conjoints et tout le tralala. Pour faire encore plus postmoderne, les deux enfants de Chantal, soit Alex, 18 ans, et Émile, 14 ans, jouent également dans Providence. Le premier se glisse dans les vêtements de Samuel, l'enfant biologique de Valérie et Pierre, et le deuxième incarne Édouard, le fils de Laurent.

«Je suis très près de ma famille. C'est un sujet qui me parle. L'idée de départ de Providence, c'était de montrer tous les secrets et conflits d'une grande famille élargie», détaille Chantal Cadieux.

Il n'existe plus aucune famille nucléaire dans Providence. Elles ont toutes explosé. Un peu comme dans l'entourage d'une majorité de téléspectateurs. «Édith (Monique Mercure) a élevé ses enfants seule. Dans la vie, c'est ce qu'on voit de plus en plus. Et toutes les séries ont leur couple de gais qui veulent adopter un enfant», souligne Chantal Cadieux.

Dans Providence, Elliot et Ludovic ne prendront pas nécessairement contact avec une agence d'adoption. «Je vais le traiter différemment, parce que ç'a déjà été fait dans Brothers & Sisters et dans Six Feet Under», explique Chantal Cadieux.

Selon la prolifique auteure, les fidèles de Providence adorent se reconnaître dans les intrigues du téléroman. «Nous n'avons rien à envier à la télé américaine: les modèles de famille, on peut tous les montrer. Nous sommes une société très ouverte», constate Chantal Cadieux.

Elle ajoute: «Les Parent, je trouve ça très bon. Sauf que moi, je ne suis pas là-dedans. C'est un idéal. J'ai grandi dans une famille comme celle des Parent. Mais un couple comme ça, c'est quasiment devenu marginal.»

À l'inverse, Jacques Davidts, 52 ans, auteur principal des Parent, vit exactement la situation inverse de Chantal Cadieux. En couple depuis 20 ans avec la même femme, la directrice de casting et productrice Emmanuelle Beaugrand-Champagne, le scénariste baigne dans le nucléaire 100% radioactif avec trois grands garçons dans la maisonnée, âgés de 18, 16 et 14 ans.



Les Parent, c'est beaucoup sa vie, leur vie de famille. «La famille nucléaire, ce n'est plus la norme comme il y a 30 ans. Mais selon des recherches, 52% des familles québécoises seraient nucléaires. Et c'est encore le rêve de la plupart des gens de vivre à deux, avec des enfants. Nous avons été élevés à la Walt Disney, tout est basé là-dessus», avance Jacques Davidts.

Une famille nucléaire est-elle de facto moins moderne? Non, tranche Jacques Davidts. «Au Québec, la télé verse plus dans la représentation que dans la projection. On est beaucoup plus enclins à vouloir se conforter, on aime ça. Le commentaire que j'entends le plus souvent, c'est: on dirait que vous avez planté une caméra chez nous», confie-t-il.

S'il y a une auteure qui maîtrise parfaitement le sujet des familles au petit écran, c'est Anne Boyer, qui signe depuis plusieurs années - avec son fidèle complice Michel d'Astous - des séries et téléromans basés sur cette thématique, dont Nos étés, Tabou, Sous un ciel variable et Yamaska.

«Moi aussi, je regarde des séries américaines où il y a des familles hors normes. Est-ce représentatif de la société américaine en général? Je ne pense pas. Au Québec, il se fait trois ou quatre nouvelles séries par année. C'est certain que les réseaux ne prendront pas un risque avec un truc plus osé ou plus pointu. Avec toutes les chaînes spécialisées aux États-Unis, eux peuvent se permettre d'être plus trash. C'est une question de volume», observe Anne Boyer.

Pour cette scénariste, la famille représente une source inépuisable d'intrigues très contemporaines. «Tout le monde a une famille. On vient tous de quelque part. On grandit par la famille, on se détruit par la famille. C'est un sujet rassembleur sur lequel je pourrais écrire jusqu'à 108 ans. Nous ne sommes pas en retard par rapport à la télé américaine. Nous montrons ce avec quoi nous sommes en contact», constate Anne Boyer.

Et si la télé québécoise n'a pas sa famille polygame comme dans Big Love, est-ce un signe qu'elle est moins moderne et actuelle? «Non, ça veut peut-être simplement dire que nous sommes moins fuckés», rigole Anne Boyer.

Née dans une famille de 14 enfants en Abitibi, Danielle Trottier, 50 ans et créatrice de La promesse à TVA, jette un éclairage différent sur les clans étranges du petit écran. «Il y a toujours eu des familles marginales. Avant, on ne les voyait pas à la télé. Aujourd'hui, avec la multiplication des chaînes, on a tellement tout dit sur les familles qu'on cherche ailleurs. Moi, quand je regarde la télévision, je veux qu'on me raconte des histoires que je n'ai jamais entendues», dit-elle.

D'où l'éclosion des émissions plus décalées, qui traitent de toutes les différences. «Les réseaux ont une grande ouverture. Nous sommes beaucoup moins censurés qu'avant», observe Danielle Trottier, mère de deuxgrands enfants.