De la même façon que le Cirque du Soleil a réinventé l'art du cirque, avec son esthétique onirique et son refus des conventions, les frères Adrià, eux, ont repensé la gastronomie. Les olives qui sont plutôt des bulles éclatant en bouche, les vapeurs parfumées encapsulées, le gaspacho blanc comme neige, la carbonara en gelée, les sandwichs en trompe-l'oeil ou les dumplings de pétales de rose... Toutes ces créations qui ont fait école, ce sont eux. Ferran, avec l'aide de son frère Albert, deux Catalans de génie, ont mis la cuisine sens dessus dessous, faisant fi des idées reçues pour transformer radicalement l'expérience gustative et olfactive à table.

Pas étonnant que Guy Laliberté, fondateur du Cirque, rêve depuis plus de 10 ans de s'associer aux chefs dans un projet qui, finalement, voit le jour, a-t-on annoncé hier.

Cet été, Heart ouvrira à Ibiza. Resto? Boîte de nuit? Spectacle interactif?

«Ce sera un dialogue entre l'art, la musique et la gastronomie», explique Albert Adrià, joint à Barcelone, où il travaille actuellement au projet avec Frank Helpin, directeur de création au Cirque du Soleil Hospitalité. «On essaie de créer quelque chose qui n'a pas été créé encore», ajoute Helpin, précisant que cette nouvelle offre multisensorielle sera ancrée dans les traditions noctambule et spirituelle de l'île baléare.

Trois lieux

Heart, le nom du projet, sera un concept en trois volets installé dans l'hôtel Gran Ibiza de juin à octobre, soit la saison des boîtes et des vacanciers. Là, les convives-spectateurs pourront manger quelques bouchées dans un espace-terrasse appelé Baraka, quelque chose de «hippie chic» mélangeant cuisine de rue et expérience de marché, explique Helpin. Adrià ajoute qu'il s'est pour cela inspiré de toutes sortes de cuisines conviviales goûtées autant en Thaïlande qu'au Pérou, au Viêtnam ou en Belgique. «Mais tout cela toujours préparé avec notre touche», note le chef.

Ensuite, il y aura un lieu dit «workshop», «un restaurant qui n'est pas un restaurant», où l'on cherchera à déconstruire les codes de la restauration traditionnelle pour ensuite les reconstruire. Là, il y aura le service aux tables, mais aussi des moments de performance, une ambiance particulière, de la musique. Le troisième lieu sera la «boîte» où le génie culinaire des Adrià sera plutôt appliqué aux cocktails, tandis que le Cirque assurera une fois de plus une ambiance inédite.

L'expérience n'aura strictement rien à voir avec ce qu'était elBulli, le célèbre restaurant d'Adrià souvent qualifié de «moléculaire», fermé au sommet de sa gloire en 2011. «C'est un concept beaucoup plus flexible, plus ouvert», explique Albert Adrià, qui dit s'inspirer notamment de repas musicaux vécus en Chine. «Le workshop sera vraiment la chose la plus différente, avec un niveau d'intensité maximal», ajoute Adrià.

L'esprit d'Ibiza

Dans cette île connue comme lieu de fêtes interminables, où les saisons sont dictées par les discothèques, les convives ne seront pas collés à leur fauteuil pendant des heures. Le volume de la clientèle sera colossal, le roulement, énergique.

Le Cirque aimerait décliner le concept dans d'autres destinations touristiques semblables.

Actuellement, l'équipe du Cirque est à Barcelone pour travailler à la mise au point du projet dans le fameux Taller (atelier) des Adrià. Albert veille à l'application concrète des idées les plus nouvelles et innovantes; Ferran, celui que l'on a toujours considéré comme l'âme d'elBulli, est là pour la partie plus «conceptuelle», explique Helpin. «Il est dans la réflexion de haut niveau.»

Albert, qui a ouvert plusieurs restaurants à Barcelone depuis la fermeture d'elBulli, alors que son frère met sur pied une fondation pour la recherche en gastronomie, dit beaucoup aimer côtoyer les idéateurs du Cirque. «On travaille à nos recettes tout en pensant à l'esthétique du Cirque, explique-t-il. Et c'est très joli, leur façon de voir la créativité.»