Londonienne d'origine torontoise, Janice Kerbel présentera, mercredi et jeudi à la Biennale de Montréal, Doug, une performance dans laquelle six chanteurs d'opéra donnent une forme vocale à différentes formes... d'accidents ou de situations catastrophiques. Doug lui a valu l'an dernier d'être finaliste du prix Turner, la récompense suprême, au Royaume-Uni, des artistes contemporains de moins de 50 ans.

Janice Kerbel est une figure singulière de l'art. Résidant à Londres depuis ses études en art au Goldsmiths College en 1995, elle avait précédemment étudié... l'archéologie à l'université Western Ontario. Peu attirée par la création d'objets matériels, elle produit des oeuvres conceptuelles dans un style pour le moins champ gauche qui consiste à donner une forme à une abstraction, que ce soit la lumière, le son, voire une idée. 

La première oeuvre qu'elle a créée en 1999, Bank Job, donnait le ton à sa démarche. Elle avait développé un plan qui détaillait les informations utiles et les étapes à suivre pour dévaliser une banque londonienne avant de s'enfuir en Espagne! Derrière l'ironie de la production se cachait déjà un intérêt marqué pour la documentation, la recherche et la planification. 

Par la suite, Janice Kerbel a réalisé des projets tout aussi étranges: Ball Game, une émission radiophonique sur une partie de baseball imaginaire, Deadstar, la cartographie d'une ville inventée, Remarkable, de vraies affiches d'événements... imaginés, ou encore Kill the Workers!, une pièce sans acteurs écrite pour la lumière. 

«Dans mon art, j'essaie d'éviter la narration et quand mon travail finit par trouver sa forme, mon souhait est qu'elle devienne une chose indépendante qui intègre son propre langage», dit Janice Kerbel.

«Pour chaque nouveau projet, j'essaie d'aborder une forme que je ne connais pas. Quand on ne connaît pas un nouveau langage, on a une sorte de liberté.» 

Quatrième présence à Montréal

Finaliste du prix Sobey en 2006 (l'année où la regrettée Annie Pootoogook l'a gagné), Kerbel a exposé son travail à Montréal cette année-là avant de participer à la Biennale de Montréal l'année suivante, puis de présenter un solo chez Optica en 2008. C'est donc sa quatrième présence dans la métropole. 

Le commissaire de BNLMTL 2016, Philippe Pirotte, l'a invitée à présenter Doug, qui a fait couler pas mal d'encre au Royaume-Uni l'an dernier. Doug n'est pas une composition musicale ordinaire. Elle n'a pas été enregistrée ni jouée en tant que récital devant public. 

Janice Kerbel n'avait auparavant jamais composé de musique. Elle a reçu l'aide de deux compositeurs londoniens, Laurie Bamon et Philip Venables, pour écrire la partition après avoir élaboré le «livret» en utilisant neuf mots reliés à des situations accidentelles. 

Doug est donc une performance d'art contemporain au cours de laquelle six chanteurs d'opéra interprètent neuf évocations de situations. Avec des titres tels que Hit, Blast, Fall, Crash, Choke ou Sink

«Chaque morceau débute quand l'incident apparaît et s'achève quand le corps ne peut plus l'endurer, dit Janice Kerbel. Pour décrire une explosion [Blast], ce doit être musicalement très court tandis que pour un étouffement (Choke], c'est plus long, car ça prend plus de temps quand on étouffe ! Pour Hit, c'était facile d'écrire la musique, mais difficile de composer le langage, car le corps, dans ce cas, n'a pas conscience de l'impact.» 

C'est après avoir créé Kill the Workers! que l'artiste de 47 ans a eu l'idée de Doug. «La pièce avait donné une forme finale si surprenante que j'ai commencé à réfléchir à ce qu'était une composition musicale, dit-elle. Comme dans mon travail, il y a toujours eu cette notion d'accident, je me suis demandé si je pourrais composer sur un accident. Comme dans les opéras où les morts sont toujours très élaborées!» 

La performance, qui dure 25 minutes, n'est pas un exercice facile. «C'est difficile à chanter, dit Janice Kerbel. Et certains morceaux plus que d'autres, comme Hit par exemple, écrit pour un baryton.» Après l'Italie, Vancouver, Londres et Glasgow, Montréal aura droit à une performance avec trois voix britanniques et trois de l'Opéra de Montréal, soit Myriam Leblanc, Nathan Keoughan et Geoffroy Salvas.

Doug a été présentée au Royaume-Uni lors du concours 2015 du prix Turner. Des journalistes britanniques n'avaient guère prisé la performance. Le critique musical du Telegraph, Ivan Hewett, a trouvé que l'oeuvre manquait de «respect» pour la musique. Janice Kerbel a pris ces critiques avec philosophie. Doug est une oeuvre d'art contemporaine, pas une oeuvre musicale sensu stricto. Les amateurs d'art pourront le constater lors des deux représentations de Doug à la Société des arts technologiques, mercredi et jeudi. 

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Doug, de Janice Kerbel, à la Société des arts technologiques, mercredi à 17 h et jeudi à 20 h, dans le cadre de la Biennale de Montréal.