La soprano Sabine Devieilhe fait mardi soir ses débuts à l'Opéra de Paris, dans le rôle supersonique de la «Reine de la nuit» dans La flûte enchantée de Mozart, mise en scène par le Canadien Robert Carsen, un défi pour la jeune étoile montante de l'art lyrique.

Le rôle de la Reine de la Nuit tient une place à part dans l'opéra: une dizaine de minutes seulement sur scène, mais deux airs époustouflants aux vocalises stratosphériques que seules peuvent assurer les sopranos «colorature» les plus agiles dans les aigus. Mozart avait écrit l'aria pour permettre à sa belle-soeur Josefa Hofer, qui a créé le rôle, de déployer toute sa virtuosité.

«Je le vois comme un morceau de bravoure de Mozart», reconnaît Sabine Devieilhe, 28 ans, révélation lyrique aux Victoires de la musique l'an dernier. «Le rôle de la Reine de la nuit, c'est douze minutes sur scène, donc c'est du «one shot»», le travail d'investissement personnel sur chaque note de cette partition est d'autant plus important».

Un rôle écrasant qu'elle aborde avec la solidité qui la caractérise. Sabine Devieilhe est une bosseuse qui ne laisse rien au hasard. Elle a chanté à merveille cette même Reine de la nuit à l'Opéra de Lyon l'été dernier, à raison de 14 représentations en 16 jours, un véritable marathon.

Héritière de Natalie Dessay

«C'est un rôle que j'ai vraiment façonné à ma manière, mon corps le connaît, mon esprit le connaît, je me sens chez moi. Ce qui va être le plus difficile, ça va être cette grande salle, et cette attente parisienne très particulière», reconnaît-elle.

Difficile en effet de ne pas avoir le trac devant le plateau immense de l'Opéra Bastille, où les voix passent parfois mal la rampe. Rien à voir avec le cadre presque intime de l'Opéra Comique, où Sabine a ébloui le public en janvier dans une frémissante Lakmé, où elle chantait plus d'une heure d'affilée.

À l'instar de son aînée Natalie Dessay, Sabine Devieilhe n'est pas seulement une voix, c'est aussi une actrice: dans Lakmé, sa présence gracile faisait merveille. La voici en mère impérieuse de la jeune Pamina (Julia Kleiter), appelée à traverser une série d'épreuves initiatiques pour trouver l'amour de son Tamino (Pavol Breslik).

Avec des rôles comme Lakmé ou la Reine de la nuit, Sabine Devieilhe marche dans les pas de son ainée. «Je pense qu'aujourd'hui on ne peut pas avoir cette tessiture sans être les heureuses héritières de Natalie Dessay», dit-elle.

Exactement au même âge, Natalie Dessay était en 1994 la Reine de la nuit d'une Flûte enchantée magique au Festival d'Aix-en-Provence, signée par le même metteur en scène, Robert Carsen.

Vingt ans après et dans la maturité (59 ans), le Canadien remet l'ouvrage sur le métier et présente une Flûte hantée par la mort qui approche - l'opéra est créé seulement deux mois avant la mort de Mozart.

Comme il y a 20 ans, il évacue totalement la lecture maçonnique, cette fois au profit d'une «méditation sur la vie et la mort». Sa production, créée à Baden Baden en mars 2013 avec une distribution différente, aligne des tombes fraîches dans une pelouse vert tendre.

«J'ai trois paires de chaussures différentes selon la nature du sol, pour ne pas me casser la figure», sourit Sabine Devieilhe dont la spontanéité rappelle aussi Natalie Dessay, l'«anti-diva» par excellence. Elle accepte la comparaison, mais affirme sa propre personnalité: «Ça me fait très plaisir, mais elle est inégalable, et j'espère m'illustrer avec mon propre nom un jour», dit-elle.