D'aussi loin que Yannick Nézet-Séguin se souvienne, il y a toujours eu dans l'air montréalais un projet de salle de concert. Devenu aujourd'hui l'un des jeunes chefs les plus renommés de la planète, il s'apprête à investir la nouvelle salle montréalaise avec l'Orchestre Métropolitain à la suite de son «grand frère», l'OSM.

«J'étais tout petit enfant, je me souviens des pelletées de terre avec René Lévesque. Et puis, finalement, René Lévesque n'était plus au pouvoir et on remplissait le trou. Je me rappelle aussi Phyllis Lambert qui voulait une salle plus à l'ouest», raconte le chef de l'Orchestre Métropolitain joint alors qu'il se baladait en voiture dans les montagnes près de la frontière austro-allemande. Il reprend: «Ç'a été long et beaucoup de gens ont travaillé pour ça. C'est sûr que le crédit va à maestro Nagano d'avoir finalement pu concrétiser tout ça, d'être celui sous qui c'est arrivé. C'est un beau projet. On parle tellement du Montréal culturel et ça ne pourrait pas mieux concrétiser ce qu'on dit.»

Le jeune chef a doublement raison de se réjouir de l'ouverture de la nouvelle salle de Montréal. Lorsqu'il inaugurera sa saison le 20 octobre, non seulement l'Orchestre Métropolitain jouira-t-il lui aussi de la qualité de l'acoustique et de l'intimité de la nouvelle salle, mais il en profitera pour augmenter substantiellement son offre musicale, passant de sept ou huit à douze programmes d'abonnement dont il dirigera la moitié.

Comme Kent Nagano, Nézet-Séguin ne veut pas refaire le procès de la salle Wilfrid-Pelletier qui, assure-t-il, n'était pas si mauvaise qu'on l'a souvent dit. «Le problème de Wilfrid-Pelletier, c'est qu'il n'y avait jamais moyen dans l'auditoire d'être enrobé par le son, d'être vraiment au coeur de la musique, de vibrer surtout lors des moments les plus puissants, précise-t-il. La grande variable avec laquelle il va falloir composer, que ce soit l'Orchestre Symphonique ou le Métropolitain, c'est qu'on est habitués sans le vouloir à projeter notre son énormément pour que ça emplisse Wilfrid-Pelletier; dorénavant, il va falloir emplir la salle différemment, sans être agressif ou en laissant le son évoluer de façon plus naturelle. Les gens veulent goûter à la musique de plus près et la salle ne devrait pas être qu'un feu de paille une fois l'effet de curiosité passé.»

Le fait que la nouvelle salle soit réservée à la musique symphonique simplifiera de beaucoup les choses de façon pratico-pratique, fait remarquer Nézet-Séguin. «Ça les simplifiera encore plus pour l'Orchestre Symphonique qui devait parfois passer des semaines entières sans être dans sa salle; mais si l'OSM peut mieux planifier, nous pouvons également mieux planifier avec lui. Finalement, c'est le début d'une nouvelle collaboration parce que c'est vrai qu'à Wilfrid-Pelletier, on était toujours un peu en train de se battre pour les dates. Je pense que le fait d'être résidants dans une salle qui nous est propre va rapprocher les deux ensembles. Personne ne peut nier que l'Orchestre Symphonique de Montréal a beaucoup plus de concerts que nous dans cette salle-là, que ce sont ses principaux occupants, mais c'est aussi notre salle à nous, à notre façon.»

Nézet-Séguin croit et souhaite même que l'arrivée dans la nouvelle salle favorisera le jeu des comparaisons entre l'OM et l'OSM. «L'important, ce n'est pas de savoir qui joue mieux ou qui joue moins bien, mais quelle est la personnalité de ces orchestres. Je crois que l'Orchestre Métropolitain a parfois un son plus volontaire que celui de l'OSM. Dans certains répertoires, notre son est tout aussi délicat et tendre, mais nous prenons d'autres répertoires un peu plus à bras le corps que notre grand frère qui est parfois un peu plus noble et auguste. Quand l'orchestre de Rotterdam que dirige Nézet-Séguin va jouer une ou deux fois au Concertgebouw d'Amsterdam, l'important, c'est qu'on ne joue pas comme l'orchestre du Concertgebouw. Si on essayait de sonner comme eux qui jouent à l'année dans leur salle, ça ne fonctionnerait pas: on n'a pas la même personnalité. De la même façon, j'espère que ça va polariser encore plus la réaction des gens sur la personnalité propre des deux orchestres montréalais.»

Nézet-Séguin souligne également que le public montréalais pourra mieux goûter les différentes personnalités des orchestres invités comme le Mariinsky de Saint-Pétersbourg et le New York Philharmonic qu'accueillera l'OSM cet automne. Y verra-t-on ses orchestres de Rotterdam et de Philadelphie?

«Ouiiiiii, absolument ! Il était même question que Philadelphie soit dans la programmation dès 2012-13, mais il semble qu'on doive reporter ça à cause de la disponibilité de la salle. Voyez, on a déjà des problèmes à ce niveau-là, dit le jeune chef en riant. À Rotterdam, on planifie également une autre tournée nord-américaine en 2013-14, donc c'est sûr qu'on va repasser par Montréal.»

L'Orchestre Symphonique de Montréal occupera la nouvelle salle 240 jours par année. Outre l'Orchestre Métropolitain, l'ensemble I Musici, l'Orchestre de chambre McGill, Pro Musica et les Violons du Roy compteront parmi ses autres locataires.Le Festival de jazz louera également la salle pendant l'été.

Vos salles préférées?



Le Concertgebouw d'Amsterdam, le très vieux Symphony Hall de Boston, aussi agréable sur scène que dans la salle, et le Gewandhaus de Leipzig parce qu'il n'y a pas de différence sur le plan de l'acoustique, qu'il y ait du public ou pas. Ça simplifie beaucoup le travail des musiciens. Parmi les plus récentes, la Philharmonie de Berlin, où on sent que ce qu'on fait sur la scène se reproduit parfaitement dans la salle. C'est une salle qui donne la vérité.

À quelle salle celle de Montréal vous fait-elle penser?

La nouvelle salle de Beijing qu'on appelle l'Oeuf à cause de sa forme extérieure. Une salle dans la plus pure tradition rectangulaire européenne comme à Montréal où il y a un buffet d'orgue et beaucoup de bois. Ça donne un cachet un peu ancien au son et tous les instrumentistes n'ont pas à forcer. Je pense qu'on va avoir une musique vibrante tout en étant naturelle. C'est ça mon rêve.