Ce n'est un secret pour personne que nos Musici, après avoir entrepris une «résidence» à la salle Pierre-Mercure nouvellement ouverte, voilà bientôt 20 ans, la quittèrent pour s'installer dans un lieu acoustique moins impitoyable, un cadre coussiné camouflant mieux les défauts.

Curieusement, le petit orchestre à cordes retournait à Pierre-Mercure hier soir pour le concert qu'il donnait, non pas avec son titulaire Yuli Turovsky, mais avec un chef invité, Jean-Marie Zeitouni.

Sans vouloir blesser M. Turovsky, il faut bien reconnaître que la présence plus jeune, plus énergique et musicalement plus ferme de M. Zeitouni apporta aux musiciens et aux auditeurs un élément de nouveauté dont tous avaient grand besoin.

L'orchestre de 14 musiciens sonnait magnifiquement hier soir dans l'acoustique riche et transparente de Pierre-Mercure. Le jeu collectif vibrait d'un nouveau souffle et le son d'ensemble semblait rafraîchi. Cette acoustique qui ne pardonne pas reproduisit de rares et minces écarts de coordination et de justesse.

Le centre d'intérêt du programme était la Sérénade pour ténor, cor et cordes de Britten, oeuvre fort étrange et assez près de nous puisque Britten l'écrivit à son retour en Angleterre après avoir passé les années de guerre en Amérique et notamment dans nos Laurentides. Britten y groupe six chants nocturnes et mystérieux, destinés à la voix très particulière de son ami Peter Pears, qui les créa et les enregistra.

Comme Pears, Lawrence Wiliford possède la voix imparfaite mais troublante que requièrent cette musique et ces textes. La corniste Nadia Côté produisit sur son instrument une sonorité qui se mariait parfaitement à la voix. Par ailleurs, le cor encadre l'ensemble d'un prologue et d'un épilogue: deux pièces brèves (l'épilogue vient de l'arrière-scène) et jouées sur les harmoniques naturelles de l'instrument, ce qui explique que certaines notes semblent manquer de justesse.

L'après-entracte était constitué d'arrangements pour cordes et harpe de trois mélodies du répertoire français et d'une transcription pour cordes du Quatuor de Ravel. Tout cela porte la signature de M. Zeitouni et se ramène à un exercice bien inutile. Si beau et si complet au piano, l'accompagnement des mélodies paraît ici surchargé et parfois d'un goût douteux. Au surplus, le chanteur, excellent dans Britten, déçut par son timbre sans couleur et son français incompréhensible.

Quant au Quatuor de Ravel «multiplié par trois», il prend ainsi une nouvelle densité, une couleur plus massive et devient une autre chose. Une autre chose qui n'est plus du tout le Quatuor de Ravel...

M. Zeitouni avait ouvert le concert en tirant le maximum d'expression de l'assez banale petite Sérénade d'Elgar. En fin de concert, il en bissa le mouvement lent à la mémoire des victimes de la catastrophe survenue au Japon.

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I MUSICI DE MONTRÉAL. Chef invité: Jean-Marie Zeitouni. Solistes: Lawrence Wiliford, ténor, et Nadia Côté, corniste. Hier soir, salle Pierre-Mercure.

Programme:

Sérénade pour cordes en mi mineur, op. 20 (1892) - Elgar

Sérénade pour ténor, cor et cordes, op. 31 (1943) - Britten

Trois mélodies: Beau soir (Debussy), À sa guitare (Poulenc), Après un rêve (Fauré), orchestrations: Zeitouni

Quatuor à cordes en fa majeur (1902-03) - Ravel, orchestration: Zeitouni