À 58 ans, Daran a encore le feu sacré. Le chanteur français, qui vit à Montréal depuis sept ans, se donne à fond sur Endorphine, un «disque laboratoire» qu'il a créé seul dans son studio. Discussion surprenante avec un artiste toujours en quête de vérité, qui nous a parlé de sa vision du métier et de son rapport à son art.

Se mettre en danger

Daran s'est littéralement enfermé pendant un été complet pour créer Endorphine, son 10e disque en carrière. «La batterie en face, la guitare à droite, la basse à gauche. Tout était câblé, tout pouvait être joué n'importe quand, et je montais les pièces au fur et à mesure.» Après coup, il a demandé au batteur Marc Chartrain de refaire les lignes de batterie. Il les a finalement gardées. «Je les trouvais plus wild.» Le but du processus n'était pas de prouver qu'il était capable de tout faire, mais plutôt de vivre le plaisir de la maturation. «Dans ce temps-là, je décroche du monde extérieur, je dors quand j'ai sommeil, je mange quand j'ai faim. C'est une autre manière de faire. Mais c'est à double tranchant, car si je me trompe, il n'y a personne pour me le dire ! Au moins, je saurai à qui m'en prendre...»

Se donner des contraintes

Toutes les chansons sont «attachées» sur Endorphine - c'est le concept de base de l'album, souligne même le musicien. «J'aime bien les figures de style imposées. Autant les morceaux sont organiques, autant je voulais que ce qui les lie soit complètement électro », dit Daran, qui estime qu'une « quantité raisonnable de contraintes» aide à la création. «Si on me dit "Voilà, fais un album et tu as accès à tout", ça risque de prendre du temps.»

Se méfier de l'expérience

Facile à emmener «en live», Daran présentera Endorphine sur scène à Montréal à l'occasion de Coup de coeur francophone. Avec ses trois musiciens, il jouera le disque dans son intégralité pendant la première partie, alors que la deuxième sera consacrée à son répertoire. «Les chansons sont liées parce que je n'avais pas envie d'avoir des applaudissements entre elles.» Pardon? «Je dis ça parce qu'une fois, après m'être rendu compte qu'une chanson marchait moins bien en spectacle, j'ai changé sa finale. Le soir même, j'ai eu d'énormes applaus. Après, j'ai pris peur: c'est horrible, ça veut dire que je connais les ficelles pour faire applaudir les gens! D'après moi, quand tu en es à prendre le risque de te réfugier dans l'expérience, c'est le début de la fin. C'est sûr que l'album suivant va être une caricature de toi-même.»

Savoir s'adapter

Daran et le parolier Pierre-Yves Lebert, qui écrit presque toutes ses chansons, forment «un auteur-compositeur à deux têtes». Amis dans la vie, ils partagent la même vision du monde. Le parolier travaille à partir de leurs conversations pour lui livrer des chansons sur mesure, raconte Daran. «C'est lui qui m'a fait arrêter d'écrire. Il faut savoir s'incliner devant le génie ! Il a même changé ma façon de faire. Avant, je faisais des démos de musique très sophistiqués et je faisais rentrer les textes au chausse-pied dedans. Maintenant, le processus est inverse: je compose avec un texte sur les genoux. Il a rendu mon métier facile.»

S'effacer

Daran retravaille peu les musiques que les textes de Pierre-Yves Lebert lui inspirent. «Ça fait prétentieux, mais 70 % des voix sur cet album sont des lectures. On fait un métier ingrat, car plus on est absent comme interprète, meilleur c'est. Je ne pense pas que j'aurais la capacité de livrer autant si j'intellectualisais trop.» Résultat: Endorphine est un disque où on sent clairement un sentiment d'urgence. «Voilà. Il faut se mettre dans une position pour se surprendre soi-même.» Sur la chanson Pauvre ça rime à rien, par exemple, Daran l'interprète va au bout de la proposition et crache la chanson avec une hargne surprenante. «Tu ne peux pas feindre ça. T'es au bord du précipice, le mauvais goût est à côté de toi. Si tu essaies de t'inventer ce personnage, c'est foutu.» Il était donc fâché pour vrai quand il l'a chantée? «Oui. Il le faut.»

Rester pertinent

Il a été une star pendant les années 90 avec son groupe Les chaises. Aujourd'hui, le chanteur français autoproduit ses albums et va à son rythme. Il peut autant participer au spectacle Les légendes d'un peuple que partir en tournée au Québec et en Europe avec son matériel - ses disques sortent toujours en France, où il remplit encore ses salles. «C'est une charge énorme, faire un album. C'est deux, trois ans de travail et ça coûte cher - quand c'est rentabilisé, je suis content. Alors je me pose toujours la question de la nécessité de faire le suivant. En même temps, c'est parce que ça correspond à une nécessité que je continue...» Comme les boxeurs qui ont peur du combat de trop, Daran a peur du disque de trop. «On a toujours peur d'être pathétique. J'en vois, des gens pathétiques, dans ce métier, et ça m'inquiète. Est-ce que je vais rentrer dans cette catégorie? Dans combien de temps? Est-ce que j'y suis déjà? Ce qui me rassure, c'est que je me comporte encore comme un ado dans ma vie en général... J'enfile encore mes chaussures assis par terre.» 

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En spectacle à Coup de coeur francophone le 8 novembre au Club Soda.

CHANSON. Endorphine. Daran. Le mouvement des marées.

Image fournie par Le mouvement des marées

Endorphine, de Daran