Pink Floyd lance ces jours-ci le dernier album de sa glorieuse histoire, The Endless River. Un disque presque entièrement instrumental que le guitariste David Gilmour et le batteur Nick Mason ont créé à partir d'enregistrements faits avec le regretté claviériste Rick Wright il y a 20 ans. Les explications de Nick Mason.

Quand Pink Floyd a donné ses premiers concerts à Montréal sans Roger Waters, en 1987, vous étiez curieux de connaître la réaction du public. Vous devez l'être tout autant aujourd'hui alors que vous lancez The Endless River, le premier album de Pink Floyd depuis The Division Bell il y a 20 ans?

Le mot «curieux» est un euphémisme. Je dirais probablement inquiet ou agité.

Vous aviez presque oublié, paraît-il, ces quelque 20 heures d'enregistrements faits en 1993, à l'époque de The Division Bell, à partir desquels vous avez créé The Endless River?

C'est un peu vrai, mais c'est surtout qu'on ne savait pas quoi en faire. On avait besoin d'être poussés un peu, surtout par notre ingénieur Andy Jackson qui a toujours cru que ces enregistrements méritaient de voir le jour. C'est lui qui a commencé à assembler certains de ces morceaux qui ont évolué vers ce qu'on entend maintenant.

Y avait-il déjà à l'époque un ordre plus ou moins établi ou serait-ce plutôt un puzzle que vous avez assemblé au cours des dernières années?

Je dirais que c'est un puzzle qui aurait pu être monté de plus d'une façon et qu'on a finalement trouvé celle qui fonctionne. Ce fut très difficile parce qu'il y avait tellement de matière et d'idées là-dedans. On a mis beaucoup de temps à faire le tri de celles qui étaient vraiment bonnes et qui méritaient d'être développées et agencées.

À l'époque, est-ce que cette musique était le résultat d'un jam de Pink Floyd qui s'échauffe et s'amuse en studio ou si vous vouliez en faire un disque?

Au départ, c'était le groupe qui s'amusait à jouer ensemble. Ça nous avait vraiment manqué, particulièrement après A Momentary Lapse of Reason, un disque très technique, numérique, avec beaucoup d'ajouts en studio, couche par couche. On trouvait important de renouer un peu avec nos racines et d'improviser ensemble. [...] Ça a donné plusieurs bonnes idées mais, curieusement, pour que les idées sur ces bandes aient un sens, il nous a presque fallu les démonter pour en tirer un solo d'orgue, par exemple.

Quelle proportion de l'album vient de vos séances de 1993?

C'est très difficile à dire parce que quand j'écoute l'album, je ne me souviens pas toujours de ce qui est vieux et de ce qui est nouveau. Je dirais qu'il y a de 30 à 40 % de nouvelle musique, mais la base, l'esprit de la chose, était déjà sur les enregistrements d'origine. Pour la présenter correctement, il a fallu nettoyer un peu la batterie ou en ajouter çà et là pour donner un peu plus de dynamisme à cette musique.

On dirait que, dans cet album, vous revisitez plusieurs périodes de l'histoire de Pink Floyd. Était-ce votre intention?

On ne l'a pas fait exprès, mais c'est en effet remarquable de constater combien, même quand on travaille à partir d'une toile vierge, on retourne toujours à certaines de nos vieilles idées préférées. J'ai surtout été surpris d'entendre des choses qui me rappellent l'album A Saucerful of Secrets à nos débuts. Autumn '68 est en fait l'enregistrement d'un solo d'orgue de Rick Wright quand on répétait pour un concert en 1968. Il y a également un peu de Saucerful... dans la pièce Skins, avec l'idée de la batterie en boucle, sauf que je joue pour vrai.

Croyez-vous que les fans du Pink Floyd de la première heure seront heureux que cet album presque exclusivement instrumental leur permette de renouer avec le côté plus expérimental du groupe?

Oui, mais on espère que ceux qui ont aimé le Pink Floyd des années subséquentes y trouveront aussi leur compte. Il n'était pas question de dire «ça fait vieux jeu, faisons autre chose». On voulait travailler à partir de ce qu'on avait déjà. Il y avait peut-être là-dedans des idées rétro, mais on y entend beaucoup le jeu de Rick, qui est demeuré très constant pendant toutes ces années.

Vous estimez que l'apport de Rick Wright à Pink Floyd n'a pas été reconnu à sa juste valeur?

Dans un groupe qui a beaucoup de succès, on ne reconnaît jamais assez le travail de certains musiciens, qu'il s'agisse de George Harrison ou de quelqu'un d'autre. Rick était quelqu'un d'assez discret et les gens ont tendance à remarquer surtout les textes des chansons ou le guitar hero. Cet album est une belle façon de rappeler combien son style était unique et sa contribution au son du groupe, importante.

Dans deux interviews récentes données au magazine Rolling Stone, David Gilmour a dit qu'il n'y avait plus de place pour Pink Floyd dans sa vie, tandis que vous avez déclaré ne pas être tout à fait certain que le groupe soit fini. Qui faut-il croire?

(Rire) J'ai dit que sur ma pierre tombale, on pourrait lire: «On peut sûrement faire une autre tournée.» Non, je pense que David a été très clair: il veut tout arrêter maintenant. Moi, je n'ai jamais aimé statuer que quelque chose est mort et enterré. Toutefois, ce ne serait pas correct pour les fans de suggérer qu'il y aura peut-être une autre tournée ou un autre disque. Donc, à moins d'un avis contraire de la part de David, c'est notre chant du cygne.

Est-ce que ça vous attriste?

J'éprouve un peu de tristesse, mais je suis ravi que, plutôt que de tout arrêter il y a 20 ans et ne rien faire de cette matière, on ait réussi à en tirer un genre de disque d'adieu.

Êtes-vous fier d'être le seul musicien à avoir joué sur tous les albums de Pink Floyd?

Je ne sais pas si je devrais en être fier ou un peu gêné. Peut-être que j'aurais dû faire comme tous les autres et quitter le groupe puis revenir.

Roger Waters a quitté Pink Floyd au milieu des années 80 en déclarant que le groupe n'était plus créatif. Étiez-vous surpris que dans ses deux dernières tournées, il joue The Dark Side of the Moon et The Wall?

Pas vraiment. Peut-être un peu pour The Dark Side, mais j'ai vraiment aimé ça et j'ai même joué dans quelques concerts avec lui. Quant à The Wall, je pense que Roger voulait prouver que ça lui appartient. The Wall a toujours été le bébé de Roger, qu'il a écrit et conçu, et c'était probablement une bonne idée pour lui de monter ce spectacle. Toutefois, j'aimerais que Roger nous donne un album de nouvelles chansons. C'est encore un grand auteur mais il se repose un peu sur ses lauriers.

Trois fois Pink Floyd

1967 : Formation du groupe, qui comprend alors Syd Barrett, Roger Waters, Richard Wright et Nick Mason, Pink Floyd devient le groupe phare de la scène underground de Londres.

Les années 70 : Le 24 mars 1973 paraît The Dark Side of The Moon qui consacrera Pink Floyd auprès d'un large public et demeurera dans les palmarès américains pendant 15 ans. Puis, en novembre 1979, parution de l'album double The Wall que Pink Floyd ne jouera que dans quatre villes au cours des deux années suivantes.

1987 : Waters ayant quitté Pink Floyd, Gilmour et Mason réintègrent Wright, viré par Waters. Ils lancent l'album A Momentary Lapse of Reason et leurs trois concerts au Forum affichent complet. Waters les poursuit en cour mais une entente survient avant la fin de l'année. Pink Floyd reviendra au Stade olympique en 1988.