En deux décennies d'activités, Massive Attack n'a certes pas eu une trajectoire parfaite, encore moins une productivité exemplaire. Des éclairs d'inspiration ont néanmoins allumé trois cerveaux, enflammé trois plexus: ceux de 3D, de Daddy G et du démissionnaire Mushroom. Tant et si bien que 5700 amateurs québécois ont reconfirmé lundi leur allégeance à cette musique jadis visionnaire, une des plus cruciales au cours des années 90.

Lorsque l'album Mezzanine est sorti en 1998, j'étais convaincu que le rock guitare-basse-batterie avait atteint sa forme classique, et que cet opus très puissant de Massive Attack annonçait le début d'un temps nouveau. Que l'émancipation de la culture pop/rock ne se trouvait plus dans les lutheries strictement analogiques, pas plus que dans l'électro dominante d'alors. Sur ce territoire devenu redondant, Massive Attack avait trouvé la voie, celle de musiques hybrides dont la proposition électronique se trouvait au coeur de la démarche.

Virilité dans les grooves. Saletés dans les microprocesseurs. Lourdeur dans le rythme. Hybridation des références - funk, dub, électro, hip hop, jazz-rock, rock dur... Multiculturalisme à l'anglaise, version Bristol. Aréopage d'invités de marque au fil des sessions. Compréhension de plus en plus profonde de l'art compositionnel au fil du temps. Utilisation de plus en plus vaste des moyens mis à disposition - sections de cordes et de vents sur le récent Heligoland, par exemple.

Douze ans après la sortie de Mezzanine, on peut dire sans ambages que la musique de Massive Attack fut un point tournant, quoique... Miné par moult conflits d'orientation et de personnalité, ce groupe a mis beaucoup trop de temps à être pertinent sur scène. Or, contre toute attente, la précédente tournée fut enfin concluante. Celle-ci l'est tout autant, sinon davantage. Bien sûr, le groupe ne jouit plus du même capital de sympathie auprès des hipsters.... So what? Nous sommes en 2010, Massive Attack n'a jamais tant rayonné sur scène. Progression lente, trop lente, progression quand même.

Sur scène, le groupe dispose d'un arsenal assez redoutable merci: deux batteries, guitare, basse, claviers, machines, cinq chanteurs - 3D et Daddy G n'étant pas particulièrement aguerris sur le plan vocal, le recrutement de Martina Topley-Bird, Horace Andy et Deborah Miller pour cette tournée est parfaitement justifié.

Le programme de la soirée était constitué de la matière d'Heligoland  (Babel, Girl I Love You, Splitting The Atom, Atlas Air), de chansons créées dans la même foulée (United Snakes, Invade Me, Just As You Were) et de plusieurs extraits de Mezzanine (Rising Son, Mezzanine, Tear Drop, Angel, Inertia Creeps). En prime, Future Proof a été tirée de 100th Window, et on aura pu savourer l'incontournable Safe From Harm, classique de l'album Blue Lines, non sans rappeler une envolée instrumentale de Billy Cobham (album Spectrum) sur laquelle la puissante Deborah Miller a pu déployer toute sa puissance.

Témoins sensibles de notre ère, les leaders de Massive Attack auront offert une expérience complète à leurs fans montréalais. Même sur le plan visuel, il faut le souligner: éclairages circonspects, sans flafla, et cet écran rectangulaire très classe, qui regorgeait de bonnes idées, particulièrement lors de l'interprétation d'Inertia Creeps. Des dizaines de phrases puisées dans l'imaginaire local ont alors été mitraillées, une pratique connue de Massive Attack qu'on aime encore se faire balancer dans la gueule: «Votre appel est important pour nous»... «Quebecor Média, faire plus avec moins»... «Le colonel Russell Williams plaide coupable»...