De plus en plus funk, afro-jazz, dub, reggae, house ou même disco, de plus en plus collé à la piste de danse (pour danseurs iconoclastes), tUnE-yArDs se distancie de l'approche bricolage avant-garde qui l'avait propulsé, il y a près d'une décennie, avec Bird Brains, premier de ses quatre albums studio.

Voici donc son quatrième opus, et non le moindre.

L'ex-Montréalaise Merrill Garbus et son partenaire de création depuis WhoKill, Nate Brenner, ont parfait leur maîtrise de la composition, de l'arrangement et de l'exécution, sans pour autant reléguer aux oubliettes leurs racines esthétiques.

S'appuyant sur la voix exceptionnelle de Garbus, la basse très groovy de Brenner et un florilège de percussions acoustiques ou synthétiques, tUnE-yArDs érige des structures plus solides qu'avant et peut-être plus convenues d'entrée de jeu.

On en déduit que Can Feel You Creep Into My Private Life souscrit au principe de la danse unificatrice, on laisse néanmoins s'infiltrer dans l'édifice de puissants fluides conceptuels infirmant tout conformisme, toute édulcoration : élans de diva déjantée, expérimentations chorales, échos de voix bulgares, synthétiseurs atypiques, hachis d'échantillons numérisés, spirales de saxophones...

Engagé

Décliné sur ces beats épidermiques et sur cette dense floraison sonore, le propos chansonnier de Garbus y est critique et engagé. La parolière aborde les thèmes de la féminité, de l'africanité, de l'oppression raciale. Elle met en relief le paradoxe d'un propos antiraciste critique émanant d'un visage pâle. Elle suggère la métaphore de la crise cardiaque pour évoquer le climat actuel au sein de la société américaine ; elle importe des valeurs bouddhistes dans le contexte du chaos occidental.

Danse fédératrice à une période de profonde division sociale, fonction critique, avant-gardisme... Dans le grand parc tUnE-yArDs, ces concepts ne s'opposent aucunement.

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AVANT-POP. Can Feel You Creep Into My Private Life. tUnE-yArDs. 4AD.