«None of us as strong as all of us together», peut-on lire sur la pochette intérieure du support physique. Une fois de plus, Godspeed You! Black Emperor affirme la puissance du collectif, mais dépasse largement les fondements de son esthétique originelle avant la longue pause de 2003 à 2010: bourdon, saturation, courbe sinusoïdale d'intensité, fondu de sortie, conclusion.

Chacune des interventions individuelles (guitares, percussions, basse ou contrebasse, violon, etc.), au départ majoritairement fondées sur des apprentissages non académiques, exigeait peu d'articulation de la part des instrumentistes, reposait plutôt sur la connaissance d'un langage commun. La qualité de ce langage se fondait essentiellement sur une richesse musicale que l'on peut qualifier de sédimentaire, c'est-à-dire que sa beauté émane de la surimpression de fréquences et de textures sonores pour chacune des mélodies ou harmonisations qui les portent.

Depuis la reprise de ses activités discographiques en 2012, GY!BE est demeuré ce vaisseau lourd et puissant qui avance dans l'océan et dévoile ses nouvelles variations, lentement et sûrement. Au fil des croisières, l'exécution s'en trouve toujours améliorée, le son d'ensemble s'enrichit, les exigences techniques sont plus grandes. Il suffit de contempler ces Luciferian Towers pour le réaliser de nouveau. Pur GY!BE, on en convient, cet opus implique néanmoins un lot d'informations concourant à un discret mais sûr raffermissement de son discours orchestral.

Le bourdon d'ouverture est tout simplement grandiose, lent crescendo à travers lequel plusieurs filons s'entrelardent en toute puissance et pétrifient tout auditeur attentif. Les modulations harmoniques y sont minimales, les orchestrations apportent tout de même du nouveau dans la facture, presque free jazz lorsqu'on franchit les trois quarts de cette pièce de 7 minutes 47 secondes. Undoing Luciferian Towers, effectivement!

Deux frasques ambitieuses

Bosses Hang est la première de deux fresques pour le moins ambitieuses. Sur un cycle rythmique ternaire, on se rapproche d'un certain conformisme inhérent à la chanson rock d'Amérique; en témoigne une progression harmonique consonante et tonale qui précède un long chapelet guitaristique, lequel mantra introduit une rythmique toujours ternaire, mais de plus en plus musclée par le grondement généralisé des instruments et la virilité des percussions. Le cycle rythmique se déconstruit progressivement dans un chaos organisé en mesures composées, et on boucle la boucle avec le thème initial de cette pièce de 14 minutes 45 secondes.

Fam _Famine s'échafaude sur un tempo moyen en 7/4, métrique régulièrement utilisée dans les variantes plus savantes de la culture rock - six décennies après Dave Brubeck, ne l'oublions pas! Ce rythme s'oppose à de lentes coulées de guitares et de violons, l'amalgame prend la forme d'un bourdon, ce qui génère un effet hypnotique sous la pulsion rythmique. Très réussi!

Anthem for No State, la seconde fresque au programme, est d'une durée presque identique à celle de Bosses Hang: 14 minutes 37 secondes. Le périple s'amorce sur une progression mélodico-harmonique triste et délicate, elle est suivie d'un robuste pont bruitiste, magnifique maelstrom au bout duquel on revient à la mélodie consonante, harmonieuse. Beaucoup plus accessible qu'on pourrait le croire, somme toute.

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POST-ROCK. Luciferian Towers. Godspeed You! Black Emperor. Constellation.